samedi, avril 20, 2024

Kiosque : Alpha Condé et l’opposition, en chiens de faîence

Le chef de l’État a fini par lâcher le président de la Commission électorale, dont l’opposition exigeait la démission. Mais entre Alpha Condé et ses adversaires, la méfiance demeure forte. « C’est une avancée », reconnaissent tous les opposants guinéens. Même le très combatif Sidya Touré lâche dans un soupir que « c’est déjà quelque chose ».

Le 5 septembre, Alpha Condé a fait une ouverture qui a surpris tous ses adversaires. Lui qui défendait bec et ongles la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a poussé son président, le syndicaliste Loucény Camara, à la démission. Visiblement, l’homme a tenté de s’accrocher à son fauteuil, mais le chef de l’État guinéen lui a fait gentiment savoir qu’« on ne pouvait pas bloquer le pays pour un seul homme ». La mort dans l’âme, Loucény Camara a annoncé qu’il quitterait la Ceni lors de la refonte de celle-ci. Ce soir-là, on a dansé dans quelques maquis de Conakry.

Une nouvelle Ceni, c’est justement ce que réclamait toute l’opposition depuis un an. Si le projet de loi présenté au Conseil national de transition (CNT) – l’Assemblée provisoire – est adopté, la prochaine commission électorale sera paritaire. Ses vingt-cinq membres seront équitablement répartis entre la mouvance présidentielle, l’opposition (dix délégués chacune), la société civile (trois) et l’administration (deux). Après l’investiture d’Alpha Condé, en décembre 2010, les élections législatives devaient se tenir dans un délai de six mois. Faute d’accord entre le pouvoir et l’opposition, elles ont sans cesse été repoussées. Cette fois-ci, les Guinéens commencent à y croire.

Mais il reste un gros obstacle : le fichier électoral. Comme dans la Côte d’Ivoire des années 2000, c’est la principale pomme de discorde. Est-ce le fléau des nations bipolaires ? Dans une Guinée dominée par les Malinkés et les Peuls, chaque camp soupçonne l’autre de volonté hégémonique, et donc de fraude électorale. Depuis deux ans, le bras de fer se cristallise autour de la révision du fichier et du choix de l’opérateur technique chargé de cette tâche. La Guinée est sans doute le seul pays au monde où le changement d’opérateur est voulu, non pas par le vaincu, mais par le vainqueur de la dernière élection.

Mauvais souvenir

Pourquoi ce paradoxe ? Parce qu’Alpha Condé garde un très mauvais souvenir du premier tour de la présidentielle de 2010, où il n’a atteint que 18,2 % des suffrages exprimés – loin derrière les 43,6 % de Cellou Dalein Diallo. L’un des proches d’Alpha Condé confie : « Quand on a constaté que des gens n’avaient pas été enrôlés dans nos fiefs de Haute-Guinée, on a émis de sérieuses réserves sur l’opérateur Sagem. » En clair, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG, aujourd’hui au pouvoir) a très vite soupçonné la société française Sagem d’avoir sous-inscrit les Malinkés de Haute-Guinée et sur-inscrit les Peuls de Moyenne-Guinée, réputés pro-Cellou. Et malgré son extraordinaire remontée et sa victoire au finish (52,5 % au second tour), Alpha Condé s’est promis de mettre Sagem dehors.

Dès son élection, les choses n’ont pas traîné. Début décembre 2010, une délégation des partenaires de la Guinée, conduite par le Belge Philippe Van Damme, chef de la mission de l’Union européenne à Conakry, est venue le voir pour lui proposer d’organiser des législatives juste après la présidentielle, avec la même Ceni et le même opérateur, Sagem. Refus immédiat d’Alpha Condé : « La Guinée est un pays souverain. Ce n’est pas aux ambassadeurs accrédités à Conakry de choisir la date et le mode opératoire de nos élections législatives. » Quatre mois plus tard, le nouveau président de la Ceni, Loucény Camara, annonçait que Sagem était remplacé par une société sud-africaine, Way Mark. Le problème, c’est qu’il n’y a pas eu d’appel d’offres. « Comment travailler avec un opérateur choisi en catimini ? » disent en choeur les trois principaux opposants, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté. À son tour, l’opposition soupçonne le RPG de vouloir manipuler le fichier. Manifestations, boycott… Les adversaires d’Alpha Condé multiplient les actions de blocage et menacent de perturber gravement le scrutin si le pouvoir veut passer en force. En janvier 2012, le secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Abdou Diouf, s’est rendu à Conakry pour tenter une médiation. Depuis cette date, il explore deux pistes : soit un audit de Way Mark, qui corrigerait toutes ses insuffisances et réviserait le fichier sous la haute surveillance de la Ceni – mais l’opposition est contre. Soit un retrait de la société sud-africaine, qui ne serait plus chargée que de la biométrie des nouvelles cartes d’identité (« Il faut que chacun sauve la face », dit Diouf). Cette fois, c’est le pouvoir qui dit non.

Suicide politique

« Mes opposants ne peuvent pas gagner. À part Cellou Dalein Diallo, ils n’ont aucune base électorale », lâche Alpha Condé. Dans la bouche du chef de l’État guinéen, c’est un compliment. Au fond de lui-même, il sait bien que le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) est un adversaire à sa taille. Et les deux hommes se respectent. Le 24 avril, ils se sont rencontrés en tête à tête pendant deux heures à la résidence présidentielle de Conakry. Cellou : « Si les législatives ne sont pas transparentes, la réconciliation sera difficile et on ne pourra pas garantir la paix. » Alpha : « Je ne suis pas un fraudeur. Pendant cinquante ans, j’ai combattu la fraude. Je ne vais pas commencer maintenant. » Cellou : « Le problème, c’est la perception qu’on a du pouvoir. Il nous donne le sentiment qu’il ne veut pas d’élections propres. »

En fait, s’il n’y avait qu’Alpha et Cellou, les choses pourraient s’arranger. Mais après cette rencontre, chacun est retourné dans sa tranchée. « En Guinée, il y a un climat invraisemblable de suspicion, confie un diplomate européen. Ils se soupçonnent tous de paroles au troisième degré. » Pourquoi tant d’intransigeance ? 2010 est un double traumatisme. Côté RPG, les 18,2 % d’Alpha Condé au premier tour restent un score épouvantail. Aux législatives, on sait que la partie va être serrée, d’autant que Lansana Kouyaté (7 % au premier tour de la présidentielle) est passé à l’opposition. Côté UFDG, plusieurs compagnons de Cellou Dalein Diallo lui reprochent d’avoir trop vite reconnu, après le second tour, la victoire de son adversaire – un geste qui, pourtant, a sans doute épargné à la Guinée de graves violences postélectorales. « Si, demain, Cellou cède sur le fichier électoral, il risque un suicide politique au sein de son propre parti », souffle l’un de ses proches.

Impatients

« Cette transition n’a que trop duré, se lamente la syndicaliste Rabiatou Serah Diallo, qui préside le CNT. Si des pays comme la Côte d’Ivoire ont réussi à finir leur transition, pourquoi pas nous ? » Les Guinéens sont d’autant plus impatients d’élire leurs députés que ce vote pourrait être l’occasion de juger les deux premières années de la gouvernance Alpha Condé. « Les populations sauront apprécier notre programme, dit un dirigeant du RPG. Nous sommes sur le point de réduire des deux tiers la dette extérieure de la Guinée. Le sac de 50 kilos de riz est passé de 300 000 à 180 000 francs guinéens [de 32 à 19 euros, NDLR]. À Conakry, il y a maintenant douze heures d’électricité par jour, au lieu de six heures. Nous visons vingt-quatre heures sur vingt-quatre d’ici à la fin 2013. » Réplique de Cellou Dalein Diallo : « Pour obtenir la réduction de sa dette extérieure, le gouvernement a dû tailler dans ses dépenses. Donc l’économie tourne moins bien, et les gens ont moins de revenus. » Entre le RPG et l’opposition, la campagne promet d’être passionnante. Reste à savoir si Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo ont vraiment envie d’aller aux élections.

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