L’attaque du consulat américain à Benghazi qui a coûté la vie mardi 11 septembre à l’ambassadeur Christopher Stevens était-elle planifiée ? C’est en tous cas une piste étudiée par l’administration Obama au lendemain de l’attaque et relayée par la presse américaine. Selon ces sources officielles, citées notamment par le New York Times, les Etats-Unis doutent en effet que la manifestation qui a éclaté devant le consulat était « spontanée et incontrôlable ».
Les Etats-Unis ont en effet comparé les événements de la soirée de mardi au Caire et à Benghazi, où ont éclaté quasi simultanément des manifestations contre le film de Sam Bacile, critiqué dans tout le monde musulman. « Si le rassemblement au Caire ressemblait bien à une manifestation spontanée et pacifique avec des manifestants non armés […], par contraste, les manifestants de Benghazi étaient armés de lance-roquettes et de mortiers » relate le New York Times. Selon les services secrets américains, il existerait donc des « indices qui suggèrent qu’un groupe organisé a pu soit attendre l’opportunité de profiter de la manifestation, soit provoquer la manifestation pour couvrir son attaque ».
UNE MANIFESTATION COMME « DIVERSION »
Selon CNN, qui adopte un ton résolument plus péremptoire, la manifestation contre le film de Sam Bacile aurait en effet servi de « diversion » pour une attaque prévue de longue date. Les sources américaines citées par le site d’informations estiment toutefois « peu probable que l’ambassadeur Christopher Stevens ait été spécifiquement visé ».
Selon une source officielle, le consulat a en effet été la cible d’une grenade qui a provoqué un incendie à l’intérieur du bâtiment. « L’ambassadeur ainsi que les trois autres personnes qui ont été tuées ont été séparés du reste de l’équipe alors qu’ils tentaient de s’échapper par le toit du bâtiment. Ils sont morts intoxiqués par les fumées de l’incendie » a expliqué cette source à CNN.
UNE « VENGEANCE » D’AL-QAIDA ?
Derrière ces suspicions surgit une nouvelle fois le spectre d’Al-Qaida, explicitement accusé par Tripoli au lendemain de l’attaque. Le groupe d’experts Quilliam, installé à Londres et spécialiste de la question libyenne, a ainsi esquissé mercredi l’idée que l’attaque aurait pu intervenir comme une « vengeance » de la part de l’organisation terroriste. Selon le groupe cité par CNN, « l’assaut est venu venger la mort d’Abu Yaya Al-Libi, no 2 d’Al-Qaida tué il y a quelques mois ». Le panel d’experts avance même le chiffre de « 20 militants, préparés pour une attaque militaire », dissimulés dans la manifestation. Pour étayer leur théorie, ils avancent là encore que la présence de lance-roquettes est inhabituelle dans une manifestation de ce genre.
LA RESPONSABILITÉ DES GARDES AMÉRICAINS ?
Un responsable du ministère de l’intérieur libyen a cependant livré un récit bien différent de l’attaque, affirmant que la situation avait dégénéré quand les gardes américains avaient tiré sur les manifestants. Wanis Al-Charef, vice-ministre de l’intérieur en charge de la région de Benghazi, a bien confirmé que « des criminels et des hommes qui cherchent à semer la sédition et à déstabiliser la situation sécuritaire se sont infiltrés parmi les manifestants ». Cependant, il a mis en cause le comportement des militaires américains présents sur place, assurant que « la tension est montée autour du consulat quand des gardes américains ont tiré en direction des manifestants ».
Selon lui, « les manifestants voulaient arracher le drapeau américain et manifester pacifiquement, sans avoir l’intention de prendre d’assaut le consulat ». « Les tirs […] ont suscité la colère des manifestants qui ont attaqué le consulat, ce qui a engendré la mort de deux Américains », a-t-il dit, sans expliquer l’origine des armes utilisées dans l’attaque.
ÉVACUATION RATÉE
Wanis Al-Charef a affirmé avoir « ordonné aux éléments de la sécurité libyenne de se retirer des lieux pour préserver la vie des Libyens » et empêcher des affrontements meurtriers comme ceux de 2006, quand une dizaine de manifestants avaient été tués par les forces de sécurité libyennes, alors qu’ils tentaient de s’attaquer au bâtiment pour dénoncer des caricatures du prophète Mahomet.
« Nous avons évacué par la suite les diplomates et les fonctionnaires du consulat américain vers un endroit proche que nous croyions sûr. Mais il y a eu une attaque sur cet endroit en raison d’une infiltration des forces de sécurité libyennes, ce qui a conduit à la mort de deux autres » Américains. M. Al-Charef n’a pas précisé quand et où l’ambassadeur Christopher Stevens avait été tué.
D’autres sources de services de sécurité ont donné d’autres versions contradictoires sur les circonstances de la mort de chacune des victimes, mais aucune de ces sources n’a pu préciser à quel moment l’ambassadeur avait été tué.
LEMONDE.FR