Kabinè Komara, ancien premier ministre, était à Bamako pour un forum sur le Genre et la paix. Sa communication intéresse à bien d’égards. Lisez…
A l’entame de la 13ème édition fondation forum de Bamako sur le thème Général : « Genre, paix et sécurité : rôle des femmes et des organisations féminines dans la prévention, la médiation et la résolution des conflits en Afrique », l’ancien Premier ministre de la Guinée Kabiné Komara, a présenté une importante communication pleine de leçons de la vie, qui met en évidence les qualités intrinsèques de la femme, et son aptitude dans la prévention, la résolution et la médiation des conflits en Afrique. Une contribution agréable à lire !
Mes très chers sœurs et frères
Mesdames et Messieurs
Je suis tout à la fois ému et honoré de prendre la parole à cette tribune pour parler du rôle des femmes dans la prévention, la résolution et la médiation des conflits en Afrique.
Nous savons tous que les conflits naissent toujours à partir des situations d’injustice, d’exclusion, de tricherie et d’intolérance. Qui ne veut pas de conflit doit donc en combattre les germes.
Les femmes africaines ont-elles la force de mener ce combat?
Ma réponse personnelle est OUI. Pour celles et ceux d’entre vous qui en douteraient, je voudrais faire état de deux récits : l’un est cocasse et personnel, l’autre est historique.
Le récit cocasse porte sur une leçon qu’un de mes gentils oncles m’avait administrée dès après mon mariage pour m’amener à bien mesurer le pouvoir de la femme sur l’homme. Cet homme était un éminent diplomate, pétri d’expérience et qui fut longtemps ministre des affaires de la Guinée sous le Président Ahmed Sékou Touré.
Il m’a dit ceci « Mon fils, tu viens à peine de te marier et je sais que ton orgueil masculin te fait croire que tu vas dominer ton épouse. Eh bien ! détrompes toi. Si tu as de la chance, tu te battras pendant une période qui durera tout au plus 2 ans pour tenter de la dominer, mais tu finiras par reconnaitre que c’est peine perdue. Vous passerez à la deuxième étape. A ce niveau, tu te battras non plus pour la dominer mais pour être son égal. Là aussi, tu réaliseras après une période qui n’excèdera pas deux ans que tu as perdu cette bataille. Tu te résoudras alors à passer à la troisième étape. Tu réaliseras que tu ne peux ni la dominer ni être son égal. Tu te battras désormais seulement pour le respect de certains de tes droits. Quand les couples atteignent cette phase, c’est là que l’on entend souvent le mari dire à sa femme « Ecoutes chérie, tu as raison mais de grâce attends que nos invités s’en aillent ».
Deux mois après, je suis venu rendre visite à ce gentil oncle. Il me demanda jovialement comment va mon épouse et comment ça se passe dans mon foyer.
Je lui répondis sans hésiter : Tonton, je crains de te décevoir mais je dois t’avouer que je suis déjà arrivé à la troisième phase.
Le second récit qui , quant à lui est d’ordre historique, explique comment les femmes de l’Union du Fleuve Mano sont arrivées par leur intelligence et leur opiniâtreté à mettre un terme à l’une des guerres civiles les plus sanglantes qu’a connue l’Afrique de l’Ouest , à savoir la guerre civile du Liberia qui a duré de 1989 à 2003 , soit 14 ans ; une guerre qui a fait près de 150 000 morts, qui a jeté près 850000 de refugiés dans la détresse, disloqué des familles entières et mis l’économie du Libéria à terre .
Comment ont-elles fait ?
Elles ont pris conscience de la gravité du conflit qui était entrain d’absorber les ressources humaines, matérielles et financières des 3 pays Liberia, Sierra Leone et Guinée, pays tous membres d’une même organisation sous régionale, l a Mano River Union.
Elles ont constitué une association des femmes de la Mano River sur une base riche et diversifiée, comprenant des femmes jeunes, moyennement âgées et très âgées. Elles ont décidé que c’est elles seules qui pouvaient arrêter la tragédie .Pour cela, elles ont étudié le profil psychologique de chacun des 3 chefs d’Etat ( Lansana Conté militaire, président paysan, Charles Taylor bouillant Guérilléro, Tidiane Kaba ancien fonctionnaire international) .
Patiemment, elles ont rencontré les différents protagonistes du conflit dans chacun des pays et à l’étranger, recoupé les informations et élaboré une stratégie, en jouant de manière sincère sur la corde sensible de chacun des 3 chefs d’Etat. Elles ont successivement rencontré Charles Taylor du Liberia, Tidjan Kaba de Sierra Leone et Lansana Conté de Guinée
Je résume ici l’entrevue critique qu’elles ont eu avec le Président Lansana Conté de Guinée( personnage peu enclin à recevoir des conseils et des injonctions des occidentaux, d’un niveau éducationnel limité, affichant sans complexe son caractère paysan et rural mais aussi doublé d’une ruse exceptionnelle , accordant une grande importance aux traditions africaines qui privilégient la chefferie et le droit d’aînesse)
Cet entretien dont je vous fais ici la narration s’est passé le 24 juillet 2001 entre le Président Lansana Conté et une délégation des femmes de la Mano River Union qui comprenait entre autres la grande dame libérienne d’un d’âge assez avancé Mme Mary Brownell , Mme Agnès Taylor Lewis ancienne ministre de Sierra Léone et Docteur Saran Daraba alors actrice active de la société civile Guinéenne
Voici quelques séquences de l’entretien.
« – Mme Brownell : Président est-ce vrai que Saran est ta Sœur ?
–Président Conté : Oui elle est ma sœur
-Mme Brownell :Comme Saran est ma fille donc tu es mon fils. Il se trouve que 3 de mes fils sont entrain de se battre actuellement : Toi Lansana, Tidiane et Charles. Ceci fait que j’ai honte des autres mamans des autres régions de l’Afrique . Aussi j’ai décidé de réunir mes 3 fils pour qu’ils arrêtent leurs folies et qu’ils fassent la paix, pour faire sécher nos larmes et nous permettre d’éviter à nos autres enfants des malheurs de tout genre. Comme je suis la maman, je demande au plus âgé qui est plus mûr que les autres d’accepter de prendre le dessous car dans notre culture l’ainé est considéré comme le dépotoir qui absorbe et transforme en engrais les ordures venant des moins âgés .C ‘est pourquoi Toi Lansana, tu dois m’écouter pour jouer ce rôle pour 3 raisons.
La première raison c’est que tu es le plus âgé des 3, la deuxième raison c’est que tu es arrivé au pouvoir avant les autres, donc tu es le mieux placé pour donner des leçons , la troisième raison est que tu es militaire donc mieux que les autres tu connais le prix de la guerre et le gain de la paix . Je compte donc sur toi Lansana pour ne pas décevoir une mère qui ne peut que te bénir si tu l’honores .Le cas échéant, je promets de vous enfermer tous les 3 dans une chambre si vous ne m’écoutez pas ; j’en garderai la clef et vous n’en sortirez que quand vous aurez conclu la paix. »
Ces paroles de la vieille dame libérienne ont touché profondément Lansana Conté . C’est ainsi que, alors qu’il avait boudé depuis près de 3 ans toute discussion de paix avec le Liberia, il donna instruction à son ministre des affaires étrangères de prendre désormais part aux différents travaux sur la recherche de la paix au Liberia.
Chemin faisant , après des efforts conjugués et hardis de plusieurs parties prenantes dont les Nations Unies et la CEDEAO , efforts soutenus par l’implication et la médiation intelligentes et efficaces des Femmes de la Mano River Union, les trois Chefs d’Etat se sont rencontrés d’abord février 2002 au Maroc puis , en Juin 2003 , à travers leurs plénipotentiaires à Accra en juin 2003 avec toutes les autres parties prenantes au conflit pour discuter des voies et moyens de mettre fin à la guerre qui sévissait si rageusement. Encore ,ces braves femmes de l’Union étaient présentes à cette historique réunion. Ayant pressenti un échec de ce sommet crucial, elles ont mis leur menace à exécution ; elles ont bloqué toutes les issues de la salle de réunion en y organisant un sit in et ont intimé aux participants de trouver vaille que vaille une solution définitive à ce conflit qui n’avait que trop duré. Cette réunion cruciale a jeté les bases du pré accord, lequel a abouti à l’Accord définitif signé à Accra le 18 Aout 2003 et mit fin à la guerre civile du Liberia. Cet Accord fut contresigné par l’Association des Femmes de la Mano River en tant garant moral.
Ce geste héroïque leur a valu la reconnaissance de l’ONU qui leur a octroyé une Distinction de Reconnaissance le 10 Décembre 2003.
Alors mes chères sœurs ; cet exemple historique doit vous inspirer. Vous pouvez et devez amplifier ici et ailleurs, ce que vos sœurs de la Mano River Union ont pu faire.
Rappelez-vous que quand les conflits éclatent, il est souvent difficile de les éteindre car chaque camp de belligérants est animé de la volonté d’en découdre à tout prix. Il manque souvent des personnes crédibles, neutres et respectées pour faire raisonner les seigneurs de guerre et leur faire toucher du doigt la vérité. Les fonctionnaires, conseillers, serviteurs et autres operateurs économiques qui dépendent du bon vouloir des chefs s’abstiennent de leur dire la vérité, de peur de compromettre leurs privilèges indus. C’est là que les femmes africaines peuvent et doivent jouer un rôle critique, surgir avec détermination et pondération avec des moyens dont elles seules ont le secret .
Ce faisant , vous femmes du Mali, vous femmes d’Afrique, vous pouvez amener ceux qui sont aveuglés par le pouvoir à voir la triste réalité que leur inconséquence impose à leur peuple ; vous pouvez amener ceux qui sont volontairement sourds aux bruits des armes à entendre les cris de détresse des victimes horrifiées par leur cruauté ; vous pouvez amener les névrosés volontaires à sentir la puanteur des corps en putréfaction et la sueur piquante des orphelins et innocentes femmes qui sont jetés sur les routes vers des horizons hostiles pour devenir des déplacés déboussolés ou des réfugiés désemparés.
Femmes du Mali, vous devez accompagner, soutenir les vrais patriotes de votre pays ; vous devez encourager et agir avec les bons éducateurs, vous devez vous substituer aux aventuriers guerriers et belliqueux pour chausser les chaussures de la pondération, bâtir des ponts entre tous les fils et filles de votre pays martyr. Il ne s’agira pas seulement d’éteindre le feu actuel mais il faudra surtout réconcilier les uns et les autres, prôner la tolérance et le vrai pardon. Pour éviter la récidive de ce qui est entrain de se passer en ce moment et tout autre conflit ultérieur, vous devez dénoncer et combattre partout, toutes les formes d’injustice , d’exclusion et de favoritisme ; même si les privilèges qui en découlent sont profitables à vos propres enfants biologiques . Retenez qu’en favorisant vos enfants au détriment de ceux des autres, vous aurez contribué à semer les germes de la haine dans le cœur de ces autres enfants qui auront été injustement privés de leurs droits. Le nombre de ces enfants frustrés grandissant, de nouveaux conflits naitront inévitablement.
Soyez donc la torche qui éclairera d’abord vos enfants et tous les enfants afin que prévalent les valeurs d’équité et de justice qui sont les vrais remparts contre l’égoïsme et l’exclusion ; sources imparables de conflits.
Pour conclure , puisque nous sommes au Mali, cette terre qui a connu tant de glorieux empires et de célèbres hommes de culture de la trempe de Amadou Hampate Ba , permettez moi chères sœurs de rappeler ce passage de l’hymne de l’empire du Wassoulou dont le fondateur l’ Almamy Samory Touré a combattu pendant 18 ans la pénétration coloniale française dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest.
Ce passage dit ‘’ Si tu ne peux dire la vérité en tout lieu et en tout temps, Si tu ne peux défendre vaillamment les valeurs de ta patrie, alors donnes ton sabre de guerre aux femmes qui t’indiqueront le chemin de l’honneur !».
Alors mes chères sœurs, soyez ces femmes d’honneur qui feront l’honneur du grand Mali dont les hauts faits ont inspiré tant d’entre nous ici présents.
Je vous remercie
Présenté par : Mr Kabiné Komara,