De retour samedi au Sénégal après 22 mois d’exil en France, l’ancien président Abdoulaye Wade sort du silence qu’il s’était imposé depuis l’élection de Macky Sall. Objectif : faire libérer son fils Karim, soupçonné de corruption. « Jeune Afrique » vous livre la primeur d’un entretien à paraître prochainement.
Samedi 26 avril, à l’heure où les Dakarois prennent le chemin des bars et des restaurants. Le soufflé provoqué la veille par le retour au Sénégal d’Abdoulaye Wade après 22 mois d’exil en France est quelque peu retombé. Dans le quartier cossu de Fann, rares sont les curieux qui attendent devant la demeure que Madické Niang, l’un des plus fidèles lieutenants de l’ancien président, a mis à sa disposition. À l’intérieur par contre, c’est un incessant va-et-vient. On y croise ses aides de camps, des gardes du corps et surtout son état-major politique : Madické Niang, Samuel Sarr, Pape Samba Mboup ou encore Assane Wade, son directeur de cabinet…
« Gorgui » (« le Vieux », en wolof) est en pleine forme. L’accueil populaire qui lui a été réservé la veille a rendu euphorique son entourage. « Gorgui balniou, danio dioum » (« Le Vieux, pardon, on s’est trompés ») ont crié les dizaines de milliers de partisans (et de curieux) qui s’étaient massés au bord de la route reliant l’aéroport au siège du Parti démocratique sénégalais (PDS) dans l’espoir de voir leur « héros ». « Entre Wade et le peuple, c’est une histoire d’amour, veut croire un de ses plus proches collaborateurs. Il y a eu une période de désamour, mais aujourd’hui les Sénégalais le regrettent ».
« Je suis branché sur mon peuple »
L’ancien président a-t-il été surpris par cette effervescence ? « Absolument pas ! a-t-il expliqué à Jeune Afrique, samedi soir. Moi je suis branché sur mon peuple. Je connais les Sénégalais. Ils savent tout ce que j’ai fait pour eux. Et ce n’est pas la première fois que j’ai un accueil exceptionnel. En 1999, il y avait 2 millions de personnes dans les rues ».
À l’époque, Wade était le principal opposant au régime socialiste. Il rentrait d’un exil de plusieurs mois. Selon lui, le message envoyé par les Dakarois est clair. « Le président Macky Sall doit le décoder, poursuit-il. Moi je l’ai fait : cela traduit l’attachement des Sénégalais à ma personne. Les gens ont attendu dix heures d’affilée. Ils l’ont fait parce que je représente un espoir, en raison de ce que j’ai fait pour le Sénégal, et aussi du fait qu’aujourd’hui, ces gens sont désespérés. La loi de la nature fait que l’on passe et que d’autres arrivent. J’aurais souhaité qu’il y ait un président – je ne dis pas qui ait la même aura que moi, ni qu’il réussisse comme moi – mais au moins qui gagne le cœur des Sénégalais. »
S’il est rentré, s’il a brisé le silence auquel il s’astreignait depuis deux ans, c’est pour redonner vie au PDS à deux mois des élections locales, mais aussi – surtout – pour faire sortir de prison son fils Karim et tous ses anciens collaborateurs accusés de détournements de fonds et de malversations. Ce qu’il appelle « la chasse aux sorcières » et qui justifie selon lui que l’on parle désormais du régime de Macky Sall comme d’une « dictature ».
Marcher sur le tribunal ?
Comment compte-t-il s’y prendre ? Pas en mettant le feu au pays, jure-t-il. Mais tout de même… « Si je voulais renverser Macky Sall, je le pourrais, menace-t-il. Mais ce n’est pas mon intention. Moi ce que je veux, c’est faire comprendre à Macky Sall qu’il fait erreur. » Pour ce faire, il va mobiliser tous les leviers qu’il utilisait lorsqu’il dirigeait le pays : les dignitaires religieux (après s’être rendu à Touba, la capitale des mourides, dimanche, il était prévu qu’il visite Tivaouane, la capitale des tidianes, ce lundi), les diplomates (les avocats de Karim Wade rencontrent régulièrement les ambassadeurs occidentaux) et, surtout, le peuple.
Un grand meeting sera organisé dans les prochains jours. Objectif : réunir le plus de monde possible. Si cela ne suffit pas ? « Les jeunes disent qu’ils marcheront sur le tribunal. Mais ce n’est pas moi qui le leur dirai », glisse-t-il en guise d’avertissement à son successeur.
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