Le ministre guinéen des Droits de l’homme l’affirme : Conakry est résolu à rompre avec l’impunité, notamment celle liée à la torture. Mais manque encore de moyens et d’expertise.
Mardi 6 mai, Genève. Le fauteuil de la Guinée au Comité de l’ONU contre la torture était occupé. Une première depuis vingt-cinq ans. Les explications du ministre des Droits de l’homme.
JEUNE AFRIQUE : Votre pays a participé pour la première fois au Comité de l’ONU contre la torture. Comment la présentation de votre rapport a-elle été perçue ?
KHALIFA GASSAMA DIABY : Les membres du Comité ont été un peu déboussolés de voir une délégation de haut niveau rompre avec vingt-cinq années d’absence, et la Guinée reconnaître clairement ses abus et violations des droits de l’homme. J’ai tenu à rappeler le contexte dont nous avons hérité : des institutions étatiques déliquescentes et près de trente années d’impunité quasi totale pour les responsables de ces violations. De son côté, le Comité a reconnu une évolution positive de notre pays, tout en soulignant la persistance d’actes de torture. Son constat peut sembler sévère, mais il est juste. Et toutes les questions qui m’ont été posées étaient pertinentes. Au cours de ces quatre dernières années, un seul acte de torture a été puni en Guinée ! Le pays n’a toujours pas défini ni encadré juridiquement la torture dans son code pénal. Une prochaine réforme devrait venir combler ce vide.
Où en sont les droits de l’homme en Guinée ?
Malgré des avancées notables, la situation reste préoccupante. Les cas de détention arbitraire et abusive, par exemple, sont nombreux, et le système judiciaire tarde à s’aligner sur les normes internationales pour punir les actes de torture, garantir des procès équitables ou encore assurer la protection des mineurs.
Compte tenu de la faiblesse des moyens de mon ministère et de l’impunité dont bénéficient les auteurs de ces crimes, je dois reconnaître que la question des droits de l’homme n’est toujours pas une priorité en Guinée. Mais l’expertise de ce comité onusien devrait nous permettre de mettre en oeuvre des réformes afin de lutter contre des abus qui, sous les régimes précédents, étaient considérés comme naturels.
Que comptez-vous faire pour améliorer la situation ?
Début avril, j’ai mis en place un comité interministériel chargé de travailler sur toutes ces questions. En parallèle, j’ai formé une commission d’enquête avec des ONG guinéennes pour évaluer à l’échelle nationale la surpopulation carcérale et faire un point sur la situation de nombre d’individus détenus en dehors de tout cadre légal.
Je pense qu’il ne faut pas seulement sanctionner ces abus, mais aussi éduquer. Dès la rentrée prochaine, des cours sur les droits de l’homme seront dispensés dans les écoles, les médias seront sollicités pour diffuser des émissions liées à ces thématiques. Enfin, nous organisons des États généraux des droits de l’homme, en juillet, à Conakry.
Où en est l’enquête sur le massacre du 28 septembre 2009, au stade de Conakry ?
Le dossier avance timidement, mais il y aura un vrai procès. Nous nous y engageons. Huit militaires ont été inculpés par le pôle de juges d’instruction du tribunal de Conakry. Chaque fois que je rencontre des membres de l’ONU, d’ONG ou de gouvernements, on me questionne – à raison – sur ce dossier. Il faut que justice soit rendue, et vite. Car à travers cette affaire, le monde nous regarde. Le pays doit démontrer sa capacité à organiser un procès équitable pour éclairer cette sombre page de son histoire.