Les sentiments les plus partagés aujourd’hui au « Pays des Hommes intègres » sont ceux de la frayeur et de l’angoisse. En effet, l’échéance de 2015 est en train de réunir les ingrédients d’une confrontation qui pourrait installer le Burkina dans le chaos.
En attendant ce probable scénario catastrophique, que personne ne souhaite pour le pays, deux Burkina se font dangereusement face.Le Burkina s’enferme de jour en jour dans un manichéisme politique gravissime.
D’un côté, l’on a les partisans du pouvoir à vie de Blaise Compaoré.
De l’autre, l’on a l’opposition, dont la détermination à empêcher la tenue d’un référendum, qui ouvrirait un boulevard à Blaise Compaoré pour la présidentielle de 2015, ne faiblit pas. La preuve vient d’être donnée par la marée humaine qu’elle a drainée le samedi 31 mai dernier, dans la cuvette du stade du 4-Août pour crier sa colère et réitérer son opposition à toute velléité de tripatouillage de la loi fondamentale. Ainsi le Burkina s’enferme de jour en jour dans un manichéisme politique gravissime qui pourrait donner raison au Pr Laurent Bado qui, dans une de ses tirades dont lui seul a le secret, avait pronostiqué que « les portes de l’enfer » pourraient s’ouvrir pour le Burkina. Certes, l’on n’en est pas encore là, mais la situation sociopolitique est devenue si préoccupante que l’on devrait s’en inquiéter et en profiter pour se poser des questions.
Le pouvoir de Blaise Compaoré est-il conscient que sa volonté d’organiser un référendum, dans le contexte qui est celui du Burkina, pourrait être source de dangers pour le pays ? L’argument qui consiste à dire que Blaise Compaoré en a le droit est très facile. Ce serait passer par pertes et profits l’immense et remarquable travail que le Collège de sages a abattu ; à la demande d’ailleurs du même Blaise Compaoré, et au terme duquel des recommandations fortes allant dans le sens de l’apaisement et du vivre-ensemble harmonieux, suite à la grave crise liée à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, avaient été formulées. Une de ces recommandations, on le sait, portait sur la limitation du mandat présidentiel. Le président ne peut pas être amnésique au point de fouler au pied aujourd’hui cette recommandation dont la pertinence avait été saluée par tous.
Quand on exerce le pouvoir, on n’est jamais rassasié du monde
Le débat actuel sur le référendum ne peut pas perdre de vue cet investissement moral et politique de nos sages. A cette contribution inestimable de sauver au demeurant le régime de Blaise Compaoré, l’on peut ajouter l’analyse des hauts dignitaires de l’Eglise catholique, dans laquelle ils ont courageusement pris position contre le tripatouillage de la Constitution et la mise en place du Sénat. L’épiscopat catholique avait trouvé les mots appropriés pour traduire les dangers que cela pourrait représenter pour le pays en termes de menace pour la paix sociale. Malgré ces coups de semonce, Blaise Compaoré est resté droit dans ses bottes. Il tient à organiser son référendum qu’il gagnera sans aucun doute avec un score digne des républiques bananières, advienne que pourra. Le moins que l’on puisse dire, est qu’au regard de ce qui vient d’être développé, l’obstination de Blaise Compaoré à tenir un référendum dans ces conditions, après 27 ans passés au pouvoir, pourrait s’apparenter à une faute. L’on pourrait par conséquent se poser la question suivante : Qui pousse Blaise Compaoré à la faute ? Cette question dont la réponse est évidente, mérite d’être posée tout de même car elle peut avoir l’avantage de titiller des consciences. En effet, pendant 27 ans, des gens se sont accrochés aux basques de Blaise Compaoré pour s’enrichir et mettre leur progéniture à l’abri du besoin. Ces Burkinabè, connus ou tapis dans l’ombre, peuvent être prêts à brûler le pays pour préserver leurs intérêts égoïstes en flattant impudiquement Blaise Compaoré. Ces gens-là savent qu’à tout moment, ils peuvent sauter dans le premier avion pour se mettre à l’abri d’un éventuel chaos, dont ils auront pourtant travaillé à réunir les ingrédients. Le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré avait, entre autres, justifié sa rectification contre « son ami et frère Thomas Sankara » en invoquant la dérive autocratique.
27 ans après, Blaise est toujours au pouvoir et tout permet de dire qu’il n’en est pas rassasié. Si cela n’est pas de l’autocratie, ça y ressemble. Mais il importe de savoir une chose : quand on exerce le pouvoir, on n’est jamais rassasié du monde. C’est très dangereux et suicidaire de croire le contraire.
In Le Pays