Le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo, adressant ses voeux de nouvel an, fait le bilan du magistère du pouvoir de Conakry.
Guinéennes et guinéens,
Mes chers compatriotes,
Je souhaite, du fond du cœur, à chacune et à chacun de vous ainsi qu’à vos familles, une bonne et heureuse année 2015. Et puis, avec vous, tous ensemble, formons pour la Guinée, notre cher pays, nos vœux ardents de paix. C’est aussi l’occasion de rendre hommage à nos martyrs. A ceux qui ont perdu leur vie sur le chemin de la démocratie ou qui sont, par les violences politiques, dans la souffrance physique, morale ou matérielle. Notre devoir est de poursuivre leur combat jusqu’à la réalisation de leur idéal de liberté et d’état de droit pour donner à leurs sacrifices le caractère légendaire qui consolera leurs familles endeuillées.
Mes chers compatriotes,
2014 qui s’achève a été une funeste année. C’est l’année du virus Ebola dans notre pays. Plus de 1600 morts et plusieurs milliers infectés qui luttent pour survivre ! Cette épidémie n’est pas une fatalité. Avec un minimum de volonté politique, avec un minimum de méthode et de rigueur, on aurait pu vaincre Ebola. Le Nigéria, le Sénégal et le Mali nous l’ont admirablement prouvé. Hélas, dans notre pays, la gestion de cette crise sanitaire comme la gestion de tous les autres secteurs de la vie nationale a été marquée par le laxisme et la désinformation. Cette impéritie du pouvoir, caractérisée par l’utilisation de la propagande politique à la place de la sensibilisation sanitaire, a malheureusement eu d’autres conséquences sur la société. En effet, le peuple n’a plus confiance et son désarroi l’incline à la résignation ou l’incite à la colère. Le drame de Womey est l’exemple extrême de cette détresse et du manque de lucidité du gouvernement dans sa gestion.
L’année 2014 est marquée également par deux évènements particulièrement douloureux. Parce que les victimes sont nos enfants. C’est d’abord la tragédie de la plage de Lambanyi. De jeunes gens en fête sur cette plage sont encerclés par la mort. Une dizaine est emportée. L’émoi ressenti par la population oblige l’Etat à fermer les plages aux spectacles. Mais cette décision ne résistera pas au désordre qui caractérise l’administration actuelle et au gout du lucre de ses responsables. Ainsi le battage médiatique pour un concert sur la plage de Rogbane n’éveillera aucune conscience. Le spectacle aura lieu. Résultat : une trentaine de morts.
Les morts d’Ebola ou des plages de Lambanyi et de Rogbane sont bien des victimes du laxisme et de l’irresponsabilité de nos gouvernants. Comme les centaines de morts de la région forestière, eux-aussi victimes d’une brutalité sans nom pour avoir revendiqué des droits élémentaires. Comme les morts des militants de nos droits politiques dont les manifestations pacifiques ont été brutalement réprimées. Ils s’inscrivent dans la spirale des malheurs que connait notre pays depuis l’accession d’Alpha Condé au pouvoir. En effet, la Guinée n’a cessé de dériver. Des tensions ethniques exacerbées, suscitées et entretenues par le pouvoir en place. Une justice dévoyée entretenant l’impunité et par voie de conséquence l’insécurité des biens et des personnes. Un gouvernement corrompu : des ministres pris en flagrant délit de surfacturation de marchés publics ; des réseaux de financement occultes ; des marchés de plusieurs milliards de nos francs passés de gré à gré ; un affairisme d’Etat autour des mines du pays en relation avec des étrangers prédateurs.
Mes chers compatriotes,
Comme vous le savez, je suis en contact quotidien avec vous. Pour vous demander de nous rassembler autour des valeurs républicaines pour redresser la Guinée. Je suis donc bien placé pour constater qu’un long chemin d’éveil a été parcouru depuis 2010. La conscience s’est éveillée sur le danger que représente le pouvoir actuel pour notre société. En effet, votre désenchantement par rapport au changement de vie promis s’est accompagné de vos interrogations, dans la souffrance, sur les faits de gouvernance d’Alpha Condé: trop de violences, trop de morts, trop de discrimination dans l’administration, trop de favoritisme dans l’acquisition des biens et services de l’Etat, trop de prévarications et au plus haut niveau de l’Etat, trop d’étrangers infiltrés dans les rangs des forces de l’ordre. Devant de tels manquements, à l’amertume que l’on éprouve pour avoir été trompé se substitue de plus en plus l’anxiété d’avoir élu un homme dangereux pour l’équilibre de notre nation. Les Guinéens ont pris conscience qu’Alpha Condé est d’une autre génération, celle d’hier. Il est de l’autre manière de gouverner, celle brutale et archaïque du dernier millénaire. Le cas illustratif de cette évolution des esprits a été l’échec du pouvoir dans les 5 communes de Conakry à l’occasion des dernières élections législatives. Il aurait connu le même désaveu au niveau national n’eussent été les fraudes massives avec les mains complices de l’administration et de la CENI comme l’ont dénoncées les observateurs étrangers.
Chers compatriotes,
Le mandat d’Alpha Condé a été une période cauchemardesque de notre histoire. Il prendra fin en 2015, l’année qui s’annonce. Chacun de nous, comme le veut le suffrage universel, aura, de nouveau, la décision de choisir celui à qui le destin du pays sera confié. Je comprends bien que ce choix n’est pas sans interrogation ni sans angoisse.
En effet, pouvons-nous encore avoir confiance en notre élite politique et en l’avenir du pays après tant de rendez- vous manqués, de rêves brisés, de promesses reniées ? Ne doutons-nous pas de nous-mêmes après des choix calamiteux pour le pays comme celui de 2010? La Guinée n’est-elle pas condamnée à la résignation ou à des explosions de désespoir comme elle en est souvent le théâtre ?
Mais les forces de l’espoir s’imposent toujours aux forces de l’abandon. C’est pourquoi nous devons être capables de nous dépasser individuellement et collectivement pour faire face à l’élection présidentielle de 2015.
Mes chers compatriotes,
L’enjeu majeur de cette élection sera le redressement du pays.
La première opération à réaliser est le rassemblement de toutes les bonnes volontés. C’est par la voie et par la force du rassemblement que l’obstacle que constitue Alpha Condé sera levé. Un rassemblement de citoyens qui dépasse les frontières des partis, des ethnies et des régions. Il doit concerner tous les déçus d’Alpha Condé, tous ceux qui pressentent que notre société est en danger, tous ceux qui sont pour la démocratie et contre ce qui la menace. Si nous nous rassemblons avec ferveur, en suscitant et entretenant un grand élan populaire, en oubliant nos préventions, nos rancœurs, nos blessures, alors aucune force ne pourra barrer le chemin de la victoire en 2015 ni la voler.
Chasser Alpha Condé du pouvoir, par le suffrage, pour sauver la Guinée, voilà notre combat. Le rassemblement en sera l’arme en écho avec ce qui a réussi dans d’autres pays contre des volontés de dictature des pouvoirs en place. Partout dans le pays, des villages aux préfectures et dans la capitale, il faudra être debout et rassemblés, vigilants et déterminés, unis dans le même combat, pour gagner et préserver notre victoire contre ce régime qui menace notre nation de déchirement.
Mais il s’agit de rassembler les guinéens pour redresser la Guinée. Nos divisions par catégories ethniques rigides et opposées favorisées par le pouvoir actuel n’ont pas permis d’être sur le chemin du progrès. Ce chemin sera entravé aussi longtemps que l’Etat dont le rôle est de guider la nation fonctionnera sur la base de ces divisions et des clans qui l’expriment. Faut-il rappeler que les pouvoirs publics : exécutif, législatif judiciaire ne valent, en fait et en droit, que s’ils s’accordent avec l’intérêt supérieur du pays, s’ils reposent sur l’adhésion confiante de la nation ?
La Guinée, pour se redresser, a besoin d’un Etat juste qui impose l’accomplissement de ses devoirs à chaque citoyen qu’il soit grand ou petit et à chaque catégorie sociale ou économique qu’elle soit faible ou importante et ce sans prendre en compte l’appartenance ethnique ou politique; d’un Etat impartial pour ne considérer que l’intérêt commun ; d’un Etat stable pour mener à bien les taches à longue portée. C’est le rassemblement qui imposera cette réforme de l’Etat en le mettant en mesure de guider la nation pour appuyer l’action de redressement qui pourra et devra être entreprise après le départ d’Alpha Condé en 2015.
C’est cet Etat, respectueux des droits et des libertés de tous les citoyens mais aussi exigeant concernant les devoirs de tous, qui peut réconcilier les guinéens et rétablir la confiance. La confiance des guinéens en eux-mêmes, les uns dans les autres et de tous dans leur avenir commun. Notre peuple est dans cette attente. C’est à nous de l’encadrer, de le soutenir, de l’unir pour atteindre l’objectif du salut de notre nation. Nous accomplirons notre mission suivant les voies et les moyens de la démocratie comme nous nous tenons prêt à accomplir notre devoir.
Le redressement concerne aussi l’économie pour transformer les conditions de vie de nos populations et cimenter notre union. La confiance est là aussi le principal ferment. Il faut rappeler que c’est le comportement de confiance qui est à la base de tous les miracles économiques dans l’histoire humaine. Si Alpha Condé l’avait suscité au lieu de promouvoir une politique de méfiance et de défiance tant au dedans qu’au dehors du pays, la Guinée ne serait pas dans cet état actuel d’affaissement moral et d’atonie de son économie.
Par les temps que nous vivons tout ne vaut que par la comparaison. Ainsi, au regard de l’augmentation nette de leur richesse, tous les pays africains ont avancé au cours des 4 dernières années. Notre pays a par contre fortement reculé pendant la période du magistère d’Alpha Condé. En 2011 et 2012, les deux premières années de son gouvernement, la croissance économique a été de 3%. En 2013, année avant la survenance d’Ebola, ce taux s’est contracté à 2.5%. Avec une population qui augmente d’environ 3% par an, la Guinée s’est ainsi davantage appauvrie. Comme le confirme l’indice de pauvreté des Nations Unies qui a continué de croître pour atteindre 55,2% en 2013. Dans la même période, la Cote d’Ivoire réalisait un taux de croissance de 8%, la Sierra Leone (14%) et le Libéria (6%). Mais comment peut- on créer de la richesse alors que le climat des affaires est gangrené par la corruption ? Dans le rapport ‘’Doing Business 2013’’ de la Banque mondiale, la Guinée occupe le 178ème rang sur 185 pays. Elle est à la 40ème place sur les 46 pays de l’Afrique au sud du Sahara. Elle est à l’avant dernière place avant la Guinée Bissau parmi les pays de la CEDEAO.
Chers compatriotes,
«Jamais nous ne nous en sortirons, si nous nous querellons. Travaillons ensemble». C’est ce que les allemands se sont dit après la seconde guerre mondiale et devant le champ de ruines de leur pays. La résurrection de l’économie et de la société allemande qui s’en est suivie a été si spectaculaire que, pour la designer, l’expression de « miracle économique » a été employée pour la première fois. Ne faut-il pas s’inspirer de cette leçon pour construire le fondement sur lequel la Guinée peut se rassembler pour se redresser et combler son retard dans un délai qui renvoie au miracle?
Les problèmes économiques et sociaux de la Guinée sont d’une telle dimension, d’une telle complexité, d’une telle urgence que pour les résoudre il faut un long et puissant effort. Seul le rassemblement et la confiance qui le cimente peuvent soutenir cette énergie. C’est pourquoi, le moment venu, nous proposerons à toutes les forces qui veulent se rassembler pour redresser notre pays un pacte de salut public pour prendre en compte l’immensité des difficultés qui confrontent notre pays et l’urgence que doivent revêtir les actions à prendre.
Mes chers compatriotes,
Aux militants de l’opposition et plus particulièrement aux militants de l’UFDG, mon salut ! Je voudrais louer votre courage et votre détermination. Depuis 2010, chacune et chacun de vous avez été la sentinelle de nos libertés. Non sans de terribles dommages puisque vous avez perdu des proches ; beaucoup ont été blessés, jetés en prison ou ont vu leurs biens spoliés ou brulés. Ayons ensemble une pensée particulière pour Amadou Oury Diallo, Président de la section motard, assassiné par ceux qui connaissaient combien il était important dans notre parti et dans la lutte contre le pouvoir actuel. Je prie le Tout Puissant que son militantisme et vos sacrifices soient récompensés en 2015 par notre victoire à l’élection présidentielle qui sera la victoire de la démocratie pour laquelle vous combattez. 2015 sera donc une année de mobilisation : je serai avec vous, devant vous pour le triomphe de nos valeurs. J’ai confiance en vous et je vous remercie de votre confiance.
Mes chers compatriotes,
Notre ambition est de rassembler les guinéens sur la Guinée pour le renouveau de notre pays. C’est pourquoi nous voulons prendre en mains l’instrument approprié qui est l’Etat. Nous sommes résolus à le faire. Par les voies démocratiques c’est-à-dire celle du suffrage universel. Aussi n’avons-nous pas cessé de demander que l’administration des élections soit transparente pour que les votes revêtent la sincérité que tous les acteurs politiques en attendent. A cet effet, nous souhaitons que le gouvernement nous entende et plus particulièrement en ce qui concerne la nécessaire restructuration de la CENI et la tenue des élections communales avant celle de la présidentielle, toutes deux devant avoir lieu en 2015. Nous espérons que la raison prévaudra. Mais si d’aventure et par malheur des gens abusant des pouvoirs venaient à étrangler la démocratie en confisquant ou en détournant les voix qui ne leur sont pas favorables, alors il n’y aurait qu’une conduite à tenir : chasser les usurpateurs.
Mes chers compatriotes,
A vous tous, aux militants de l’UFDG, aux militants de l’opposition, à ceux qui sont en prison ou en exil, à leurs familles, à nos soldats sur les fronts africains, aux amis de notre pays, mes meilleurs vœux pour 2015. Que l’année qui s’annonce soit pour notre pays et pour tous ceux qui y vivent une année de paix.
Je vous remercie.