Une anecdote suffit à illustrer l’impuissance de l’administration Obama sur la question des armes à feu, ravivée par la fusillade de Roseburg (Oregon), le 1er octobre.
Le 13 février, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (BATFE) avait ouvert une consultation publique à propos de la révision éventuelle du statut d’une munition susceptible de perforer les gilets pare-balles de la police, la M855.
Ce type de munition est théoriquement interdit d’usage depuis une loi votée en 1986, mais une exemption la rend possible dans « un cadre sportif ». Le 17 février, la National Rifle Association (NRA) mobilisait ses adhérents et actionnait le levier du Congrès. Le 9 mars, une majorité de sénateurs et de représentants, démocrates comme républicains, adressait une missive au directeur du BATFE, Byron Todd Jones, pour le mettre en garde contre les conséquences d’une initiative outrepassant, selon eux, ses pouvoirs.
Dans leur courrier, les élus insistaient sur le fait que la M855 est la plus répandue des munitions utilisées pour une arme qui compte parmi les plus populaires aux Etats-Unis, le fusil AR-15 – un observateur non averti classerait immanquablement celle-ci dans la catégorie des armes de guerre. Ils ajoutaient que le deuxième amendement de la Constitution américaine, qui protège le droit de tout citoyen à posséder une arme, s’étendait également aux balles utilisées pour celle-ci. Le lendemain, Byron Todd Jones rendait les armes et repoussait sine die la révision. Le BATFE précisait avoir reçu en quelques semaines plus de 80 000 commentaires, dont la grande majorité était résolument hostile à toute modification.
Des démocrates s’opposent aussi à tout contrôle
C’est la NRA que le président a mise en cause jeudi, responsable selon lui d’entretenir « l’idée selon laquelle la violence par les armes serait d’une nature différente, que notre liberté et notre Constitution nous empêchent de légiférer, même modestement, sur la façon dont nous utilisons ces armes ». Une attaque immédiatement dénoncée comme « gauchiste » par les forums conservateurs.
Mais cette accusation ne rend pas compte de la complexité de la carte électorale lorsqu’il s’agit de ce sujet. Un contrôle plus sévère de la vente des armes à feu peut être défendu par des républicains, comme les cas suivants le prouvent :
L’une des lois liées au contrôle des armes a été défendue par un ancien conseiller de Ronald Reagan, James Brady, grièvement blessé lors de l’attentat qui avait visé le président républicain.
L’ancien maire républicain de New York – aujourd’hui indépendant –, l’homme d’affaires Michael Bloomberg, est également très engagé dans cette lutte.
Mais ce sont parfois des démocrates qui s’opposent à tout contrôle :
Le candidat à l’investiture démocrate considéré comme le plus à gauche, Bernie Sanders, s’est signalé plusieurs fois au Sénat, où il siège comme indépendant, par des votes contre toute tentative de durcissement de la législation.
Si les démocrates sont effectivement moins attachés que les républicains à une défense intraitable du droit à posséder une arme, c’est bien l’opposition de quinze d’entre eux qui avait mis fin en avril 2013 à la tentative la plus significative de l’administration Obama pour encadrer les armes à feu. Cette initiative faisait suite à la tuerie de Sandy Hook, en décembre 2012.
Le contrôle par le Parti républicain des deux chambres du Congrès depuis janvier interdit jusqu’à nouvel ordre la moindre réforme sur le sujet, aussi timide soit-elle. La NRA fait d’ailleurs porter l’essentiel de ses efforts sur les Etats, plaidant inlassablement contre toute forme d’examen des antécédents des acheteurs d’armes, pour l’extension des autorisations des ports d’armes dans des lieux publics, comme en a attesté le feu vert du gouverneur républicain du Texas en juin pour les établissements universitaires, et contre toute limitation visant les armes semi-automatiques ciblées après Sandy Hook.
Cette bataille au niveau des Etats n’est pas toujours à sens unique. Elle s’était ainsi traduite dans l’Oregon, en mai, par l’adoption de contrôles des antécédents (judiciaires ou psychologiques) pour les acheteurs d’armes. Cet Etat de la Côte ouest, réputé très libéral au sens anglo-saxon du terme, est, il est vrai, gouverné par une démocrate, Kate Brown, qui a exclu jeudi toute réforme en urgence. Une nette majorité d’Etats (31 sur 50) est cependant contrôlée par les républicains.
Lemonde