Conakry, Guinée : dans une tribune, l’avocat Me Pepe Antoine Lama revient sur l’Arrêt rendu par la Cour constitutionnelle sur le dossier dit de falsification de la constitution guinéenne.
La COUR CONSTITUTONNELLE A VALIDE UN DOCUMENT SANS SE PREOCUPPER DES EXIGENCES D’identité entre le projet de constitution soumis au referendum du 22 Mars 2020 et la nouvelle constitution.
Après la révélation des modifications substantielles des articles 13, 17, 31 alinéa 2, 37 alinéa 3, 39, 42, 43 alinéas 2 et 3, 47 alinéa 1, 52 alinéa 3, 68 alinéa 1, 71, 76 ; 77, 83, 84, 90, 106, 107 alinéa 3, 119 alinéas 4 et 5, 120 et 132 du projet de constitution soumis au référendum du 22 Mars 2020, le Ministre d’Etat, Ministre de la Justice, Garde des sceaux a, à travers un point de presse organisé le 04 Juin 2020, déclaré que :
«…le texte en question a fait l’objet de plusieurs consultations et autant d’amendements pour prendre en compte toutes les préoccupations de l’ensemble des guinéens (…) c’est suite à tout cela qu’après l’avis de la Cour Constitutionnelle, le projet a été soumis au référendum et adopté le 22 Mars 2020 avec la proclamation de la victoire du OUI par la CENI et confirmé par l’arrêt AE007 du 03 Avril 2020 qui l’a proclamé comme étant la Constitution de la République de Guinée.
En conséquence, l’adoption du texte final par le référendum met hors d’usage tous les documents qui ont contribué à son élaboration…»
Si cette communication a eu l’avantage de nous prouver l’identité de ceux qui ont altéré le texte suprême de la République, il est cependant regrettable de noter qu’elle est non seulement garnie de contrevérité mais aussi dépourvue de toute logique juridique.
Malheureusement, par arrêt N° AC 014 du 11 Juin 2020, la Cour Constitutionnelle vient de réhabiliter cette situation en proclamant le texte publié le 14 Avril 2020 au journal officiel de la République comme nouvelle la Constitution de la République de Guinée.
Faisant abstraction des exigences scientifiques pour les besoins de la cause, je considère que ce débat est loin d’être clos même s’il n’existe plus de possibilité interne pour restituer à la constitution soumise au référendum du 22 Mars 2020 ses pleins et entiers effets.
Dans son avis N° 002/2019/CC en date du 19 Décembre 2019, la Cour Constitutionnelle a jugé régulière l’organisation du référendum constitutionnel et affirmé la possibilité pour le président de la République « …d’initier tout projet de Constitution à soumettre au référendum… »
En prélude au référendum constitutionnel envisagé par le gouvernement, le Président de la République a, par ordonnance N° OO1/2020/PRG/SGG du 29 Janvier 2020 portant dispositions relatives au référendum, fixé les modalités pratiques relatives à cette opération. Conformément aux dispositions de l’article 8 de ladite ordonnance : « Le projet de loi référendaire est publiée au Journal officiel de la République. Il doit faire l’objet d’une vulgarisation dans les organes de presse d’Etat. »
Certes, la Cour constitutionnelle a évoqué ladite ordonnance dans son visa, mais elle n’en a pas fait un bon usage.
Dans son arrêt en date du 12 Juin 2020, la Cour a estimé que les documents autres que le texte publié le 14 Avril 2020 sont des documents des travaux préparatoires à l’établissement d’une nouvelle Constitution.
Cette décision suscite une curiosité qui m’amène à me pencher sur l’appréciation juridique du projet de Constitution publié au journal officiel avant le référendum.
En vérité, la Cour ne s’est pas préoccupée de la certitude du texte soumis au référendum constitutionnel du 22 Mars 2020. Elle a légitimé un texte décrié sans se soucier des exigences d’identité entre le projet final publié au journal officiel et le « la Constitution » publiée le 14 Avril 2020.
La Cour a ignoré que c’est en exécution de l’article 8 de l’ordonnance suscitée que le texte falsifié a été inséré au journal officiel de la République courant janvier 2020. C’est bien cette version paraphée et cachetée par le Ministre de la Justice, Garde des sceaux qui a été largement diffusée et vulgarisée sur les médias par les promoteurs de la nouvelle Constitution.
Dès lors, il n’était plus possible de procéder à une quelconque modification ou amendement de ce projet. Ainsi, toute mouture établie postérieurement à cette publication est illégale. En aucun moment, la mouture publiée le 14 Avril 2020 n’a été publiée au journal officiel avant le référendum. Il est juridiquement insoutenable de tenter de légitimer une « Nouvelle Constitution » par un supposé amendement intervenu après la publication du texte officiel soumis au référendum.
En validant cette situation, la Cour viole l’article 8 de l’ordonnance du 29 Janvier 2020 et créé un précédent qui n’est pas condition d’une sécurité juridique enviable.
A présent, la Cour de Justice de la CEDEAO demeure la seule chance pour obtenir la sanction des violations des principes essentiels de la démocratie, de l’Etat de Droit et des graves violations des droits de l’Homme.
Maître Pépé Antoine LAMA
Avocat au Barreau de Guinée