jeudi, décembre 26, 2024

Média : Saliou Samb se souvient de Pounthioun : « un homme digne »

Je voudrais, le cœur meurtri, à la suite de tous ceux qui m’ont précédé, rendre un hommage mérité à un aîné, à un frère, à un ami pour qui j’avais une profonde affection.

Mamadou Dian Pounthioun Diallo n’était pas un simple journaliste qui se prélassait dans les salles de rédaction, à une époque où la vocation n’attirait pas grand monde dans la presse libre. Seuls se retrouvaient à L’indépendant et au Lynx (les deux plus grands journaux du pays dans les années 90) des talents aux caractères trempés et des esprits animés d’un idéal qui allait bien au-delà de ce qui plonge de nos jours certains de notre génération dans le regret.

Il était difficile d’avancer sereinement dans un contexte où la case prison nous suivait comme une ombre, mais le sage Pounthioun, du haut de son expérience (dont beaucoup d’entre nous avons bénéficié !), n’était jamais loin pour calmer le jeu et trouver la bonne voie pour avancer sur des choses utiles, avec des risques calculés et dans l’intérêt du public.

Cet être au regard malicieux, d’une intelligence exceptionnelle, avait le don de transmettre des valeurs d’humilité et de respect d’autrui que nombre d’entre nous avons perdues en ces temps où la culture du paraître a fait perdre à certains le sens des réalités.

L’homme au franc-parler, qui a connu tous les chefs d’Etats guinéens, avait beaucoup d’expérience : il m’a personnellement raconté comment il avait écrit son tout premier article dans un journal sénégalais en… 1983.

L’événement le plus dramatique qu’il m’a raconté est comment, le 25 janvier 1971, l’écolier « en culotte courte » qu’il était à l’époque avait été obligé de se rendre sous le Pont 8 novembre, à l’entrée de Kaloum, pour voir les corps de hauts responsables suppliciés, pendus à des cordes, les mains ligotées dans le dos, emportés par la vague de la fameuse répression qui a suivi l’agression du 22 novembre 1970. « On nous a même obligé à exprimer notre joie en chantant ! », se rappelait-il.

L’une des facettes les plus étonnantes de cet homme polyglotte était son aisance quand il s’exprimait en français, en soussou, en pular, en malinké… en wolof, avec des nuances et des subtilités que seuls quelques rares personnes pouvaient saisir.

Secrétaire général de la rédaction de L’indépendant, il avait révolutionné la présentation du journal par son goût de l’esthétique et surtout par sa finesse d’esprit. Quelle rigueur ! C’était un homme qui allait bien au-delà de ce qui était visible à priori et mettait un point d’honneur à soigner les détails.

Autre fait anecdotique mais remarquable pour l’époque, c’est par son canal que beaucoup de journalistes de la rédaction de L’indépendant ont eu le « courage » de toucher au clavier de l’ordinateur, quand le stylo à bille et la feuille de papier vierge était la règle (les secrétaires faisaient le reste !).

Analyste hors pair, il a été de tous les combats en côtoyant l’ensemble du personnel politique à cette époque : El Hadj Boubacar Biro Diallo, Sékou Mouké Yansané, Aboubacar Somparé, Dorank Assifat Diasseny, Siradiou Diallo, Bâ Mamadou, Facinet Touré, Jean Marie Doré, l’actuel président de la République Alpha Condé (à l’époque dans l’opposition), etc, la liste est très longue.

A la rédaction de L’indépendant, il a cheminé avec des collègues aujourd’hui décédés et qu’il a fini par rejoindre sous terre : Biram Sacko, Jean-Baptiste Kourouma, William Sassine, Aboubacar Condé, Siaka Kouyaté, Ben Daouda Sylla, Thiernodjo Diallo dit “Bébel” etc, pour évoquer les noms les plus connus.

Je ne parlerai pas de ses collègues vivants qui l’ont pratiqué : quelques-uns ont narré leur relation avec l’homme en magnifiant tous ses grandes qualités, mais une image m’est restée chez Pouthioun : celle d’un homme digne, même dans les pires difficultés.

De Kérouané où il s’était retiré et d’où il m’a plusieurs fois joint au téléphone, l’homme semblait résigné à épouser le sort qui est souvent réservé aux gladiateurs de la plume, avec ce goût ocre de sentiment d’ingratitude et, trois fois hélas, d’oubli. Connaissant Pounthioun, je sais qu’il ne peut que rigoler de la nature humaine. Repose en paix grand frère !

Saliou Samb

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