Le décès de ce supplétif de l’armée, connu pour ses nombreux faits d’armes dans la lutte antiterroriste au nord du Faso, a provoqué une onde de choc.
Aux abords de la morgue du Centre hospitalier universitaire régional de Ouahigouya, les parkings à moto étaient saturés ce dimanche matin pour la levée du corps de Ladji Yoro. À l’occasion du dernier hommage à ce Volontaire pour la défense de la patrie (VDP, auxiliaire civil de l’armée), mort au combat le 23 décembre à l’âge de 42 ans, la foule est compacte. Et elle s’épaissit encore pour escorter le cortège funéraire jusqu’au cimetière.
Motos par centaines, tricycles, voitures rutilantes des officiels qui ont fait le déplacement de Ouagadougou, la capitale, à environ 200 kilomètres au sud. Leur ballet est impressionnant, presque infini, le long du trajet bordé de latérite rouge. Les images du guerrier autodidacte, chapeau de cow-boy et ceinture de munitions autour du cou, abondent, et les louanges pleuvent : « valeureux combattant », « samouraï de la brousse », « édifice de la nation », ou « intrépide VDP », selon la formule du président Kaboré. Parmi les officiels présents, le ministre de la Défense nationale et des Anciens Combattants Aimé Barthélémy Simporé, l’un de ses prédécesseurs, Chérif Sy, des membres de gouvernement, des députés, des officiers.
« Ça a été un hommage national, comme s’il s’était agi d’un militaire. Ladji Yoro est parti au son de la musique militaire et il a été élevé à titre posthume au rang de chevalier de l’ordre de l’Étalon. Pourtant, ses cris du cœur n’ont jamais été entendus », regrette Samuel Kalkoumdo, président du Mouvement pour la culture de la paix et l’amour de la patrie. Une organisation apolitique née en 2017, qui avait décerné à Ladji Yoro un trophée du « patriotisme » le 3 septembre dernier.
« J’avais découvert ses hauts faits de guerre et sa bravoure en juin à la suite d’une vidéo dans laquelle il réclamait de l’aide, et se demandait si on n’avait pas vendu le pays. J’ai alors cherché à connaître l’homme », poursuit cet inspecteur des impôts, qui le compare volontiers à l’icône révolutionnaire Thomas Sankara.
«Remettre le drapeau burkinabé dans nos villages »
Le 23 décembre, Ladji Yoro est mort avec 40 autres personnes, VDP et civils, alors qu’il escortait des commerçants de Titao partis se ravitailler en vivres à Ouahigouya. Sur la route du retour, ils sont tombés dans une embuscade. L’un de ses compagnons d’armes, Ganamé*, rescapé de ces violents combats, raconte : « Les assaillants étaient très nombreux. On a compté plus de 500 personnes. Ils avaient des armes lourdes, des mitrailleuses 12.7 mm et 14.5 mm, des pick-ups, des roquettes, des PKMS [kalachnikov] et des gaz lacrymogènes. Quand ils voient que les combats durent, ils tirent des gaz. C’est là que beaucoup de combattants sont tombés parce que certains ont cherché à se replier. Les militaires sont ensuite arrivés en renfort. Cela a permis de repousser l’offensive, et c’est grâce à ça qu’il n’y a pas eu plus de morts dans la population. » Deux semaines plus tôt, le 9 décembre, 14 Volontaires pour la défense de la patrie, selon Ganamé, étaient déjà tombés sur ce même tronçon Ouahigouya-Titao. Censés escorter des militaires, ils étaient partis en éclaireurs sur cet axe très dangereux, drapeau rouge à l’épaule, pour être reconnaissable en cas d’appui aérien.
« Mais l’appui a fait défaut. Le 23 décembre, on a eu l’appui d’un hélicoptère à l’aller, de Titao à Ouahigouya. Tout s’est bien passé. Au retour, cet hélicoptère n’a pas pu nous accompagner », précise ce VDP proche de Ladji Yoro, joint par téléphone. « Il a combattu jusqu’à la fin, en refusant de se replier. Il est mort au champ d’honneur », complète Samuel Kalkoumdo.
Alors qu’une grande marche s’organise le 26 juin 2021 dans la ville de Titao, à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Ouahigouya, pour réclamer protection et retour de l’État, Ladji Yoro fait l’objet d’un reportage. Il y apparaît sur sa moto, kalachnikov en bandoulière, crâne rasé, doigts striés de bagues, et vêtu d’une tunique en Faso Danfani blanche à rayures noires. « Nous devons dire à nos autorités que nous sommes en difficultés, explique-t-il, voix grave et posée. Depuis le début de la saison sèche, nous n’avons vu aucun soldat venir appuyer les missions de sécurisation initiées par les VDP. Nous ne demandons ni de l’argent ni à manger. Mais qu’ils nous aident à sécuriser notre territoire le long de la frontière avec le Mali, d’est en ouest. Nous sommes partants pour faire un ratissage de trois mois. Si l’État n’est pas capable de faire cela, on n’a pas besoin deleurs 10 francs CFA, 15 francs CFA […]. Le premier soutien dont nous avons besoin, c’est la protection. On veut remettre le drapeau burkinabé dans nos villages, réinstaller les écoles, les commissariats, les gendarmeries, ainsi que les mairies. C’est notre principale requête à Dieu, ensuite au gouvernement. Il y a très peu d’aide pour nous ici. »
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