jeudi, avril 18, 2024

Environnement : Un expert parle de solutions pour rendre Conakry propre

Conakry-Guinée : Depuis quelques semaines, Conakry cloue sous des montagnes d’ordures. Ce jeudi 14 juillet, le Président de la Transition, le Colonel Mamadi Doumbouya, a écourté le Conseil ordinaire des ministres pour envoyer ses ministres nettoyés les quartiers de la capitale Conakry.

Cet acte un peu inédit du Colonel Mamdi Doumbouya nous amène à republier l’interview que nous avait accordée en 2016, Dr. Youssouf Boundou Sylla, Consultant International agréé du Système des Nations-Unies travaillant dans le développement international depuis plus d’une décennie. Mais il est connu de l’opinion pour être non seulement le coordonnateur général du quotidien électronique d’informations Guinéenews, mais aussi pour ses analyses pertinentes et quelques fois critiques – en parlant de la gestion du pays sur ledit site.

Il est l’actuel Secrétaire général du ministère de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle. Dr. Youssouf Boundou Sylla, est un expert environnementaliste, réside actuellement en Guinée après plusieurs années au Canada, à la suite des études doctorales au pays du Soleil levant, le Japon.

En 2016, nous l’avons interrogé sur la problématique lancinante de la gestion des ordures ménagères à Conakry surtout. Aujourd’hui, les ordures font l’actualité en Guinée et inquiètent les professionnels de la Santé publique, mais surtout le Président de la Transition en cette saison hivernale. Lisez cet entretien très… «technique».

Guinéetime : Conakry, tout comme les principales capitales régionales sont confrontées à un sérieux problème de gestion des ordures. Vous qui connaissez bien ce secteur en Guinée, il en a été  toujours  ainsi ?

Youssouf  Boundou Sylla : Il faut tout d’abord dire que la gestion durable des déchets surtout solides n’est pas l’œuvre et l’apanage des grandes capitales du monde seulement. C’est un problème global pour toutes les villes et agglomérations, à l’échelle mondiale. Mais celles qui ont compris ont mis en place des politiques de gestion (collecte, traitement et de valorisation) efficaces pour le bien être de leurs populations.

Pour le cas spécifique de la Guinée, il faut reconnaître qu’au temps du premier président guinéen feu Ahmed Sekou Touré, les politiques populistes de gestion de déchets et des collectivités décentralisées, fonctionnaient  très bien à travers notamment l’agriculture périurbaine, l’assainissement, les festivals, etc.

Une sorte de compétition entre les quartiers était organisée pour connaître quel est celui qui sera le meilleur en termes d’application de la politique du parti-Etat en matière d’agriculture périurbaine par exemple. C’était certes, une volonté du régime à  l’époque d’en dormir les populations à la base mais les bénéfices étaient visibles : l’assainissement de la ville était bien assuré et tout le monde s’impliquait, bien détendu la densité de la population à Conakry était très faible, à l’époque.

Mais avec l’avènement du CMRN (Comité militaire de redressement national), qui faut-il souligner, avait opté pour une libéralisation sauvage. L’on a assisté à l’augmentation exponentielle de la densité de la population dans la capitale avec le gonflement du secteur tertiaire : le petit commerce – l’achat pour la vente. Et qui parle de la forte croissance démographique, parle de facto de la production  accrue des déchets journaliers. Et malgré les efforts des gouvernements qui se sont succédés en Guinée, le problème reste encore entier car nous n’arrivons jusqu’à présent pas à créer les unités de valorisation de ces déchets surtout bio-organiques (putrescibles) en aval tout en conscientisant nos populations et mettre l’emphase sur une collecte sélective en amont.

Du fait que le CMRN ait détruit tous les acquis positifs que le régime défunt a laissés alors qu’il fallait les conserver, cela n’a pas du tout aidé le pays  durant les deux ou trois dernières décennies.

Il y a quelques mois, la volonté politique s’est exprimée par la mise à disposition du gouvernorat de Conakry de mannes financières importantes. Sa gestion, du moins douteuse, a refroidi le pouvoir…

En fait, le problème fondamental de la gestion de déchets de la ville de Conakry est à la fois institutionnel, technique et financier. À date, l’on n’arrive pas à avoir une meilleure matrice de gestion efficace de ces déchets et les fonds alloués pour assurer l’assainissement de la ville sont souvent mal utilisés. Les gens préfèrent faire du folklore devant le petit-écran pour s’attirer l’attention des décideurs politiques en vue d’avoir des postes de responsabilité que de s’investir efficacement dans la résolution de ce fléau qui est à la fois environnemental et de santé publique de nos populations.

Si ma mémoire est bonne, dans les 96-98, Africare, une ONG américaine s’investissait tant bien que mal avec des prestataires de service dans le ramassage des ordures sur le terrain, car à cette époque, la ville de Conakry produisait en moyenne 400 à 500 tonnes de déchets par jour. Aujourd’hui, cette quantité a atteint plus de 1000 tonnes (?) de déchets produits par jour, selon le peu de statistiques disponibles.

Si la gestion des fonds alloués pour le ramassage des déchets est opaque, c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités pour ne pas que les mêmes erreurs du passé se répètent. Et pour cela, il suffit de mettre à la tête de la gestion des secteurs de développement stratégiques des patriotes convaincus et compétents prêts à servir et non se servir comme cela est coutume chez nous pour avoir des résultats escomptés.

C’est à l’Etat de s’assurer du contrôle et du suivi des projets liés à la gestion des déchets pour éviter qu’on dilapide des maigres ressources que les bailleurs mettent à la disposition de la Guinée. On va beau se battre, mais lorsque les gens qui sont censés assurer l’assainissement sont attirés par l’appât du gain, c’est sûr qu’on passerait à côté de l’objectif.

Notre pays regorge des cadres compétents, intègres et patriotes à l’intérieur et à l’extérieur qui sont prêts à servir parfois même sans salaire. Il suffit de jouer le franc jeu avec eux en trouvant des mesures  incitatives pour eux et surtout leur apporter l’appui institutionnel pour faire marcher n’importe quel secteur en Guinée. Cette masse critique est indispensable dans tous les secteurs de développement de notre pays.

La gestion des ordures doit-elle être du domaine des collectivités locales, exclusivement?

Partout dans le monde, la responsabilité de la gestion des déchets revient aux villes ou aux collectivités locales. Mais pas exclusivement puisque les services décentralisés de l’Etat peuvent faire la sous-traitance avec des entreprises privées spécialisées dans le domaine en vue de parvenir à un meilleur résultat.

En Guinée, le gouvernorat de Conakry relève du ministère de l’Administration du territoire et les 5 communes de Conakry relèvent du gouvernorat de la Ville. Les quartiers quant à eux, relèvent des communes. Il suffit de créer une très bonne synergie ou une très bonne chimie entre ces différents paliers administratifs en s’appuyant sur des techniciens du ministère de l’Environnement afin de mettre en place une politique de collecte et de traitement efficace des déchets de la Ville de Conakry pour y arriver.

Dans chaque commune, il devrait y avoir un technicien de l’Environnement chargé de l’application de la mesure gouvernementale en matière d’assainissement.

En un mot, le ministère de la Décentralisation, le gouvernorat, les communes et quartiers doivent travailler en parfaite collaboration pour faire face à cet épineux problème.

Comment organiser un système d’assainissement cohérent et efficace, afin que Conakry soit, comme jadis, « la perle de l’Afrique de l’ouest ».

Pour organiser un système d’assainissement durable, il va falloir tout d’abord sensibiliser nos populations sur le bien fait de la protection de l’environnement et de la protection de la santé publique, qui, en général ne sont pas une priorité de nos gouvernants. C’est une responsabilité citoyenne, je dirais même que c’est à la fois un devoir et une responsabilité de chaque citoyen où qu’il se trouve de s’investir dans les réalisations de petites actions porteuses.

Pour gérer ou assurer le ramassage correct des déchets, le gouvernorat doit responsabiliser les communes et celles-ci, à leur tour, responsabilisent les quartiers en mettant les moyens  matériels et financiers à leur disposition  en vue de mieux faire leur travail.

Vous vous demanderez certainement comment l’Etat qui est limité dans ses moyens peut-il  assurer le financement pérenne d’une telle activité ?

C’est simple ! De nos jours, dans chacune des 5 communes de Conakry, il y a au moins un grand marché. Et dans ces marchés, que ce soient les commerçants ambulants ou détenteurs de boutiques ou magasins, chacun paie la taxe journalière ou mensuelle. Ce qui représente une manne financière importante pour les communes. Si ces fonds sont bien gérés par les communes et non par la direction nationale des impôts ou le Trésor public, chacune d’elle sera capable de financer ses propres activités allant de l’assainissement, au remplacement des équipements voire même à la construction et l’entretien des latrines publiques. Aussi, elles pourront assurer l’achat du carburant pour les camions chargés du ramassage et du transport des déchets vers les lieux de décharges, mais aussi assurer l’entretien technique de ces mêmes camions. Également, les communes pourront liquider n’importe quelle facture liée à un prestataire de service de ramassage des ordures avec lequel elles font affaire si c’est bien géré.

Bien sûr que l’Etat et ses partenaires techniques peuvent toujours accompagner le gouvernorat surtout pendant la période de soudure.

Mais une fois ramassés et stockés, qu’est ce qu’on en fait de ces déchets ?

Cette question se pose avec acuité et c’est là où le bas blesse en Guinée. Parce qu’aujourd’hui, les lieux de décharge sont saturés et sont devenus de plus en plus indisponibles, surtout celui de Concasseur situé en plein centre urbain qui dégage des odeurs nauséabondes et gaz toxiques. C’est pourquoi, il est important et c’est devenu même impératif de construire des unités de valorisation de ces déchets (ressources) en aval, surtout ceux qui sont organiques où l’on peut faire du composte et du gaz de synthèse dans un pays où le déficit énergétique est élevé.

Je pense, en plus de ces services déconcentrés de l’Etat, il existe le service public de Transfert  des déchets (SPTD).  Il va falloir mettre les voies et moyens à sa disposition pour le redynamiser, le rendre plus productif et financièrement autonome en vue de lui permettre de jouer correctement son rôle.

Pour l’instant, il est plus qu’urgent de déplacer la décharge sauvage actuelle du quartier Concasseur. Cette décharge engendre d’énormes problèmes de santé publique, car vous pouvez le remarquer vous-même, dans cette décharge il y a toujours des feux spontanés. Ceux-ci sont dus à la présence du méthane qui entraîne la brûlure des composants toxiques tels que les batteries qui contiennent du mercure et d’autres substances cancérigènes. Il y a des personnes qui habitent à moins de 10 mètres de cette décharge qui respirent en continu ces gaz sous l’effet des vents dominants à Conakry Sud-Ouest dont les conséquences sont néfastes pour les enfants et les personnes âgées. Cela est inacceptable !

Sous d’autres cieux, il y a beaucoup d’initiatives, de procédés pour débarrasser les ordures…Dites-nous ce qui peut bien correspondre au cas guinéen…

Dans la littérature, comme vous l’avez si bien dit, il existe beaucoup de procédés technologiques pour valoriser les déchets organiques par exemple. Mais le procédé le plus répandu pour les pays tropicaux tels que la Guinée où la température moyenne est comprise entre 36 et 45 degrés en moyenne, pendant la saison sèche, c’est le compostage qui est recommandé en vue de produire des fertilisants qui ont les mêmes valeurs agronomiques que les engrais chimiques. Avec l’utilisation abusif des engrais chimiques, très souvent, on donne les nutriments à la plante plus que ce dont elle a besoin en termes nutritifs. Ce qui, à long terme, peut causer la dégradation du sol ou la contamination de la nappe phréatique. Or, avec le composte, on n’a pas une telle crainte.

L’autre procédé, c’est la bio digestion des déchets organiques en l’absence de l’oxygène pour produire le biogaz à travers la méthanisation en vue de produire de l’électricité et le gaz de synthèse. A ma connaissance, les ordures ménagères de la ville Conakry sont composées d’environ 80% de la matière organique. Peut être avec la prolifération des déchets plastiques en Guinée, ce chiffre a certainement changé.  Il suffit de composter une partie et produire le gaz de synthèse avec l’autre partie.

Bien sûr que le facteur clé de succès de ces deux procédés dépend de la séparation de déchets humides « on-site » dans la zone de production (cuisine), c’est à dire séparer carrément les déchets organiques de ceux inorganiques dans les domiciles dans les bacs identifiés en conséquence. C’est en ce sens que les citoyens contribueront efficacement à leur bien être.

Quant aux déchets plastiques, ils peuvent être transformés en asphalte comme ça se passe ailleurs au Kenya par exemple. Les papiers autres feront l’objet de recyclage approprié.

D’ailleurs, on doit considérer des déchets comme des «ressources » car c’est quelque chose qui doit apporter des revenus considérables. On doit avoir une maîtrise parfaite de la valorisation et cela doit passer obligatoirement par les  «connaissances » approfondies sur les caractéristiques des déchets (ressources). Il faut les caractériser clairement et évaluer l’utilisation de chaque méthode (compostage, biogaz, thermique,…) en termes de coût et de bénéfice. Cela doit passer obligatoirement par des recherches appliquées (application d’abord à petites échelles) en partenariat avec les institutions chargées de cette problématique et les universités. Il est impossible pour un investisseur de s’engager à la construction d’une centrale de biogaz par exemple (plus d’1 million de dollars) sans qu’une étude sérieuse sur le potentiel de production du méthane selon la composition des déchets ne soit effectuée. Cela peut se faire à l’échelle des laboratoires dans les universités et c’est moins coûteux.

Le compostage c’est une très bonne piste (moins coûteux)  mais il faut que les gens s’engagent et qu’ils voient qu’il y a du business à faire.

Parallèlement, il faut former des techniciens capables de produire du compost en tenant compte du contexte climatique guinéen (température élevée, forte pluviométrie, fort taux d’humidité,…)  et les caractéristiques spécifiques des déchets dans chaque zone.   Cela peut se faire sous forme de projets de recherche dans les universités et aider à financer la recherche, plus tard.

Donc, pour me résumer par rapport à la valorisation, cela doit passer par des connaissances pratiques sur le terrain en tenant compte des réalités climatiques et socio-économiques de chaque zone.

L’objectif final pourrait être d’inciter le secteur privé à s’intéresser à la valorisation des déchets en faisant du business avec. Les déchets sont des ressources potentielles, il faut savoir en tirer profit. Pour cela, il suffit d’avoir une vision à long terme, de la volonté et des compétences. Avec une réelle volonté politique, une bonne organisation, une action collective ou individuelle constante vers la réduction et la réutilisation, corrélée à une incitation financière, les citoyens s’impliqueront vite !

Partagez aux Guinéens le contenu de votre mémoire de doctorat obtenu au Japon…

Après avoir soutenu ma thèse de génie-chimique (ingénierie chimique) sur le calcul d’un atelier de conversion du méthane en vue de produire le gaz de synthèse à l’Institut Polytechnique Gamal Abdel Nasser de Conakry entre 1995-1996, j’avais soif d’apprendre encore. J’ai travaillé dans une entreprise qui a fermé ses portes, mais comme tout bon guinéen, en même temps, je cherchais une bourse d’études pour aller parfaire ma connaissance à l’étranger et revenir servir mon pays.

Conscient du fait que la Ville de Conakry était sale et voulant participer à ma manière au développement de mon pays, j’ai fait un projet d’études sur la collecte et le traitement des déchets de la Ville de Conakry. C’est ainsi que j’ai postulé pour une bourse postuniversitaire à l’Ambassade du Japon en Guinée en 1997. Et en 1998, après des tests d’évaluation avec de nombreux candidats (une centaine), j’ai été l’heureux récipiendaire de cette bourse d’études en 1998 puisqu’à l’époque, le pays du soleil levant ne donnait qu’une seule bourse à la Guinée.

Arrivé au Japon, j’ai commencé à travailler sur ce projet d’études qui m’a permis de décrocher un Master Es Science en Génie-Civil en mars 2002 et un Doctorat (Ph.D.) en Génie-Environnemental après la publication de trois articles scientifiques publiés dans les revues scientifiques internationales, spécialisées dans ce domaine.

Le contenu de ma thèse doctorale était innovant car j’ai développé un nouveau réacteur pour le traitement des déchets organiques par convection naturelle via les tuyaux perforés verticaux qui assuraient un débit d’air homogène dans la pile de déchets pour faciliter la dégradation rapide des micro-organismes et réduire considérablement le temps de compostage. Tout ceci grâce  à l’accompagnement de mon Directeur de Thèse, le Professeur Émérite Masao Kuroda,  à qui je rends un grand hommage ici.

Bref, la Guinée m’a donné le courage et la persévérance, le Japon m’a presque tout donné, surtout la rigueur scientifique et l’honnêteté intellectuelle d’aller au bout de mes rêves étant un modèle de développement. Et l’Amérique du Nord, en l’occurrence le Canada m’a offert le réalisme et le pragmatisme, le tout couvert par la baraka de mes parents sans lesquels je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui.

Entretien réalisé par Amadou Touré

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