L’ancien ministre Tibou Kamara rend hommage à l’ancienne Ministre feue Mariama » Soguipah » qui a tiré sa révérence au Maroc des suites de maladie.
On peut finir un jour, mais on n’est pas terminé à jamais, car l’œuvre accomplie vit dans la durée, survit au temps et reste dans les mémoires. La graine semée fera toujours des récoltes. Mariam Camara, qui fut des nôtres, vient à son tour de nous quitter aussi discrètement qu’elle a vécu, dans l’oubli des longues distances (loin des yeux, loin du cœur), la morosité des retraites précoces et anticipées. Il ne saurait y avoir de gloire sans déclin ni règne sans fin. Elle n’aura pas cependant vécu pour rien, car la chevalière de la République qu’elle fut, l’ouvrière de l’administration qu’elle a été jusqu’au bout, laisse derrière elle une carrière bien remplie dans différentes fonctions au service de son pays et dans le travail de la terre dont elle fit une vocation. Elle a été aimée et célébrée par tous avant d’être livrée à elle-même dans le tourbillon de ses doutes, murmures et interrogations entonnés à voix basse.
Elle a dû quitter la scène malgré elle, par un malheureux hasard et un accident de l’histoire. Lorsqu’on a été actif à la tâche et passionné dans l’action, il n’est jamais facile de se morfondre dans l’ennui ou de languir dans la nostalgie des moments fastes. Les jours difficiles éprouvent la patience et la foi de chacun, font perdre confiance en soi et consument l’espoir. Personne n’aime « avoir été »; chacun espère « être » et voudrait ne jamais « cesser d’exister ». Mais on subit la nature et demeure esclave de son destin.
On peut croire aujourd’hui que les héros d’hier sont à la traîne de l’histoire, meublent la galerie de portraits des figures disparues ou déchues et vivent dans la déchéance d’un revers de fortune extrêmement violent. Mais en réalité, c’est la vie publique qui est ingrate, parce qu’elle s’attelle à voler les plus belles années de l’existence et ruine insidieusement la santé. Les sociétés aiment avancer dans les sillons de l’avenir; ainsi le passé meurt en chacun, le souvenir ne vit en personne.
Pourquoi donc avoir droit à des égards lors de ses obsèques lorsqu’on n’a eu aucune considération durant sa vie ? Comment expliquer qu’après avoir servi son pays dans l’abnégation du devoir et avec les insuffisances inhérentes à l’œuvre humaine, on soit vu en paria et traité en renégat ? Personne ne s’attend à de la reconnaissance qui n’est pas dans la nature du monde ni à la portée des mortels; cependant, l’ingratitude sera toujours difficile à pardonner et impossible à oublier. Toutes les personnalités publiques à toutes les époques souffrent du rejet, de la détestation et de la haine gratuite des autres au point d’en être meurtries et révoltées intimement. La déception est un poison lent à tuer mais finit par être fatal.
Clemenceau avait prévenu ses proches de son vœu qui sonne comme un dépit personnel profond : « Pour mes obsèques, je ne veux que le strict nécessaire, c’est-à-dire moi. » Qui d’entre nous, dans la lassitude des hypocrisies et sous l’emprise des blessures portées, ne ferait pas la même recommandation que lui ?
Chère Mariam, je ne peux pas dire adieu à toi qui m’avais confié récemment : « J’ai vu la mort en face et n’en reviens toujours pas d’avoir échappé à cette fatalité. » Hélas, c’était un message de l’Ange Gabriel avant l’heure tant redoutée du rappel à Dieu.
Tibou Kamara