dimanche, mai 18, 2025

Affaire Kabinet Sylla : la Cour de justice de la CEDEAO ordonne à l’État guinéen de le libérer et de le lui verser une indemnité de 30 millions de francs CFA

Conakry-Guinée : La Cour de justice de la CEDEAO vient de rendre son verdict dans l’affaire Kabinet Sylla, alias « Bill Gates », contre la République de Guinée. Dans son arrêt rendu le 16 mai 2025, elle conclue que l’État guinéen a violé le droit de M. Sylla à la présomption d’innocence en vertu du droit international des droits de l’homme.

Elle ordonne à l’Etat guinéen de le libérer et de le lui verser une indemnité de trente millions (30 000 000) de francs CFA.

Ci-dessous l’intégralité de cet arrêt :

La Cour de justice de la CEDEAO juge que la République de Guinée a violé le droit de M. Sylla à la présomption d’innocence en vertu du droit international des droits de l’homme

Lagos, le 16 mai 2025 : La Cour de justice de la CEDEAO a rendu son arrêt dans l’affaire Kabinet Sylla, également connu sous le nom de « Bill Gates », c. République de Guinée (ECW/CCJ/APP/08/23), concluant que l’État guinéen a violé le droit de M. Sylla à la présomption d’innocence en vertu du droit international des droits de l’homme.

Contexte de l’affaire

Le requérant, M. Kabinet Sylla, de nationalité guinéenne, a déposé une plainte devant la Cour alléguant de multiples violations des droits de l’homme découlant des poursuites pénales engagées contre lui et ses sociétés, Djoma S.A., Djoma Logistique et Djoma Groupe S.A., par la République de Guinée. Le 27 janvier 2022, le Procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) a émis un acte d’accusation pour crimes économiques graves, notamment corruption et blanchiment d’argent.

Malgré une enquête menée par la Direction centrale des investigations judiciaires (DCIJ) concluant à l’insuffisance des preuves pour étayer les accusations, M. Sylla a été formellement inculpé et placé en détention provisoire le 3 novembre 2022. Ses demandes de remise en liberté ont été systématiquement rejetées, ce qui l’a incité à saisir la Cour de justice de la CEDEAO le 13 février 2023.

Demandes du requérant

M. Sylla a soutenu que son arrestation et son maintien en détention étaient arbitraires et dénués de preuves crédibles. Il a également soutenu que les déclarations publiques faites par les procureurs lors d’une conférence de presse le 2 décembre 2022 présumaient sa culpabilité et portaient préjudice à l’opinion publique, violant ainsi son droit à la présomption d’innocence.

Il a allégué des violations de plusieurs instruments juridiques, notamment :

  • Les articles 9(3) et 14(2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;
  • L’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ;
  • Les articles 9 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ;
  • Le Protocole relatif à la Cour de la CEDEAO et son Règlement intérieur ;
  • Le Code de procédure pénale guinéen.

M. Sylla a demandé à la Cour de déclarer la Guinée internationalement responsable, d’ordonner sa libération immédiate et de lui allouer 500 millions de francs CFA de dommages et intérêts.

Position du défendeur

La République de Guinée a défendu la légalité de la procédure, invoquant la complexité de l’affaire et la nécessité d’un contrôle juridictionnel approfondi. Elle a justifié la détention de M. Sylla par des divergences importantes entre ses revenus déclarés et son patrimoine et a nié toute violation des droits humains, insistant sur le fait que les communications publiques des procureurs étaient conformes aux normes juridiques.

Conclusions de la Cour

La Cour s’est déclarée compétente en vertu de l’article 9(4) du Protocole additionnel de 2005 et a jugé la requête recevable.

Sur le fond, la Cour a jugé que :

Violation du droit à la présomption d’innocence : La Cour a estimé que les déclarations publiques faites par les procureurs du CRIEF pendant la phase d’enquête allaient au-delà du simple partage d’informations et constituaient une déclaration de culpabilité prématurée. En faisant référence à d’importantes sommes d’argent et en suggérant des origines criminelles sans jugement définitif, les autorités ont violé le droit de M. Sylla à la présomption d’innocence, en violation de l’article 14(2) du PIDCP et de l’article 7(b) de la CADHP.

Violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable : La Cour a également noté que les retards dans le contrôle juridictionnel, notamment le fait que la Cour suprême n’ait pas statué sur les recours dans un délai raisonnable, constituaient une violation du droit de M. Sylla à une protection judiciaire rapide.

Décision

La Cour de justice de la CEDEAO a donc :

  • Déclaré que la République de Guinée avait violé les droits de M. Sylla à la présomption d’innocence et à être jugé dans un délai raisonnable ;
  • A ordonné à l’État de libérer M. Sylla ;
  • A ordonné le versement d’une indemnité de trente millions (30 000 000) de francs CFA au requérant ;
  • A rejeté la demande de dépens du défendeur.

Comité judiciaire

Le jugement a été rendu par un collège composé de :

M. le juge Ricardo Cláudio Monteiro Gonçalves (président et juge rapporteur)

M. le juge Sengu Mohamed Koroma (membre)

M. le juge Gberi-Be Ouattara (membre)

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