Sans doute Mamadou Tandja aurait-il mieux fait de se taire. Le 28 juin, la justice a levé son immunité pour l’entendre sur les accusations de vol qu’il a portées contre ses successeurs.
Mamadou Tandja, 76 ans, doit se mordre les doigts d’avoir trop parlé. Le 26 octobre 2013, l’ancien président nigérien reçoit à son domicile de Niamey une centaine de militants de son parti désormais dans l’opposition, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD). Il évoque ce jour du 18 février 2010 où il a été renversé par les militaires pour avoir voulu prolonger son mandat de manière anticonstitutionnelle (le fameux tazartché, « continuité » en haoussa).
Et il se lâche : « Le jour où j’ai quitté le pouvoir, je leur ai laissé environ 400 milliards de F CFA [près de 610 millions d’euros]. Aujourd’hui, dans notre Trésor, il y a des matins où vous ne trouverez que 3 millions de F CFA. Ce sont tous des voleurs ! » lance-t-il en haoussa. Dans l’assistance, un petit malin enregistre les propos avec son téléphone portable. Et quelques jours plus tard, les copies CD se vendent comme des petits pains sur le marché de Niamey. « L’affaire des 400 milliards » est lancée.
Le 22 janvier dernier, pour répondre au « vif émoi » créé par ces accusations, le ministre nigérien de la Justice, Marou Amadou, annonce l’ouverture d’une enquête sur la disparition supposée de cette somme, qui représente tout de même un quart du budget de l’État. Le 27 janvier, des gendarmes se présentent au domicile de l’accusateur pour l’entendre. Mais Tandja refuse de les recevoir en faisant jouer son immunité d’ancien chef de l’État. Le garde des Sceaux saisit alors la cour de cassation pour faire lever cette immunité.
Le 6 février, Tandja sent le danger. Il convoque la presse et se rétracte à demi-mot. Il explique que les trois quarts de ces 400 milliards avaient été réunis par « de riches partenaires » pour la construction du barrage de Kandadji, sur le fleuve Niger, en amont de Niamey, et que ces fonds étaient « toujours stockés à la Banque islamique de développement », à Djeddah, en Arabie saoudite. Bref, il reconnaît qu’il n’y a jamais eu 400 milliards de F CFA en liquide dans les coffres du Trésor nigérien. Le pouvoir se satisfait de ces déclarations et décide d’en rester là.
Depuis février, Tandja se tient coi
Mais c’est compter sans la machine judiciaire. Une fois lancée, difficile de l’arrêter. Le 26 juin, la cour de cassation lève l’immunité de l’ancien président, qui peut désormais être entendu à tout moment, voire poursuivi. Embarras du gouvernement. « Nous n’avons pas envie d’accabler Tandja », confie le ministre nigérien de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou. Logique. Il y a sans doute un pacte entre le président Issoufou et l’ancien champion du tazartché.
Le 7 avril 2011, Mahamadou Issoufou est investi président. Un mois plus tard, le 10 mai, Mamadou Tandja sort de prison après quinze mois de détention. Dès lors, il se met en retrait et fuit les interviews. « Depuis 2011, il refuse de s’exprimer sur une question qui pourrait gêner les pouvoirs publics actuels », confirme son avocat, Me Oumarou Souleye. En octobre 2013, Tandja dérape, mais, en février 2014, il revient dans les clous. Et depuis, il se tient coi. Pas une déclaration publique sur le bras de fer actuel entre le président Issoufou et son opposant numéro un, Hama Amadou, président de l’Assemblée nationale.
Le 15 juin à Niamey, plusieurs milliers d’opposants manifestent aux cris de « Non à la dictature » aux côtés de Hama Amadou et de Seïni Oumarou, le successeur de Tandja à la tête du MNSD. Issoufou a-t-il intérêt à alourdir un climat politique déjà très chargé ? Sans doute pas. Le 2 juillet, il a reçu Tandja en tête à tête pendant trois heures à la demande de ce dernier. Pronostic d’un observateur : « Le pouvoir gardera la procédure comme une épée de Damoclès au-dessus de Tandja, mais n’ira sans doute pas plus loin. »
In jeuneafrique