jeudi, décembre 26, 2024

Mohamed Camara ( Juriste) à GuinéeTime : « L’adoption du statut de l’opposition permet de trouver le compromis politique »

Mohamed Camara2Mohamed Camara est Juriste et vient de finir une formation des formateurs au Canada pour le compte de l’ENA de Guinée. Analyste et observateur averti de la scène politique guinéenne, il se prononce sur la promulgation du statut de l’opposition, la Ceni… et les élections prochaines. Interview à bâtons rompus ( 1ère partie)

GuinéeTime : Vous rentrez d’une mission de formation du Canada au compte de l’ENA (Ecole nationale d’Administration), quelles ont été les grandes lignes de cette formation?

Nous rentrons d’une session de Formation des formateurs, parce les pouvoirs publiCS ont émis l’idée de l’ouverture prochaine d’une Ecole nationale d’administrateurs en Guinée qui pourrait avoir pour vocation la formation des administrateurs dans le pays, afin qu’ils soient performants dans la réalisation du service public.

Nous sommes donc allés au Canada pour l’Ingénierie de la formation…La session a bien été certifiée par un succès. Sur les formateurs sélectionnés sur la base d’un test par le jury mixte canadien et guinéen, 18ont donc bénéficié de la formation. Cela pour permettre aux formateurs de la future ENA de savoir comment concevoir un projet de formation, comment concevoir un cours en tant que tel et comment exécuter ce cours. Vous savez que l’ENA doit recevoir deux publics cible : le premier public, ce sont des étudiants diplômés de licence et qui sont désireux de faire carrière dans l’administration. Le second ce sont les fonctionnaires en poste, justifiant un certain nombre d’années de service effectif.

L’actualité c’est l’adoption du statut de l’opposition et du chef de file de l’opposition…Beaucoup se demandent ce que cela va servir et quelles sont les implications du chef de file de l’opposition en terme de droits et de devoirs,

Je pense d’abord qu’il faut remercier les pouvoirs publics pour cette initiative. La Guinée avait une loi portant statut de l’opposition, mais cette nouvelle loi 036 permet désormais à l’opposition d’être dotée d’un chef de file de façon officielle. Et cette loi permet de calmer davantage l’échiquier politique, de stabiliser les rapports et de créer un cadre formel de rencontre périodique et qui pourrait permettre la création d’une plateforme de concertation entre pouvoir et opposition. Aussi l’adoption de cette loi permet de clarifier les positions politiques. C’est-à-dire soit on est de l’opposition, soit on est de la mouvance. Il n’y aura plus de centre.

Avec cette loi, lorsque vous arrivez sur la scène politique,vous déclarez à partir d’une correspondance adressée au ministère de l’Administration du Territoire votre position d’opposant ou de la mouvance. Lorsque vous vous déclarez opposant, vous n’avez pas à admettre une nomination au niveau d’un poste ministériel, ce serait un mélange de genre.

Autre aspect, cette loi offre des avantages à l’opposition d’avoir désormais accès aux canaux des médias publics. Avec cette loi, le leader de l’opposition peut avoir un rang protocolaire juste après les présidents des Institutions. A coté de ces avantages, les opposants ont aussi des devoirs officiels de cultiver l’éducation civique de leur militants et de leur indiquer qu’il y a d’autre forme d’expression pacifique dans un cadre démocratique dans le respect des institutions. Parce que tenez vous bien, la perte du statut de l’opposition peut être entre autre comme conséquence une dissolution de l’Assemblée nationale. Alors cela peut stabiliser la démocratie et ça peut briser le mur de haine qui existe souvent entre Mouvance et Opposition.

Imaginez par exemple qu’un Chef de file de l’opposition vienne rencontrer officiellement le chef de l’Etat. Ou que le chef de l’Etat se rende dans le QG d’un opposant, cela permet de stabiliser la démocratie et aussi de débattre des questions nationales et internationales.

A votre avis à qui profite le plus l’adoption de ce statut du chef de file de l’opposition

Ça profite à la démocratie guinéenne. Votre question est importante parce qu’ à un moment donnée, beaucoup de gens se disaient que c’est un lot de consolation du pouvoir à l’endroit de l’opposition. Et même l’opposition avait aussitôt réagit pour dire non que nous, nous ne voulons pas adhérer à cette idée. Mais tout cela était faux. C’est pour que la démocratie marche. Et cette disposition permettra aux uns et aux autres de savoir à quel saint se vouer désormais pour faire face à une quelconque pression. Désormais un chef de file de l’opposition peut collaborer avec le chef de l’Etat sans avoir une quelconque critique de sa base politique. Donc ce n’est nullement une stratégie pour bénéficier la grâce d’une entité comme les gens le pensent. Mais c’est plutôt un acte de construction de la démocratie.

L’autre souci des guinéens c’est de savoir si cette disposition peut désormais atténuer les décisions de manifestations politiques. L’adoption du statut de l’opposition permet de trouver de compromis politique. Au niveau de la Guinée quand les acteurs se rencontrent, ils se disent voilà nos forces à l’interne, voilà nos faiblesses à l’interne. Les forces et les faiblesses sont internes aux entités alors que les menaces et les opportunités sont externes à l’environnement. Alors quelles sont les forces et les faiblesses de la Guinée, quelles sont les menaces qui planent sur la Guinée et quelles sont les opportunités qui s’offrent à la Guinée. Cette plateforme permet donc à l’ensemble des acteurs de se comprendre et de dire comment on peut exploiter nos opportunités et comment faire face à nos menaces. Surtout comment on peut profiter de nos opportunités pour relever nos faiblesses.

A votre avis, qu’est ce qui bloque l’installation des autres institutions comme le Conseil supérieur de la Magistrature, la HAC et aussi la prestation de serment du Médiateur de la République sans oublier l’institution indépendante des Droits de l’Homme?

Je pense qu’on a beaucoup donné la priorité l’apaisement du climat politique avant de procéder à la mise en place de ces institutions. Ce retard s’explique par les crises récurrentes et une question de volonté politique. Aujourd’hui je pense que l’espoir est permis pour que ces institutions soient enfin mises en place par ce que l’échéance se rapproche davantage la cadence aussi.

Aujourd’hui on parle de plus en plus de la recomposition de la CENI alors que la loi indique que la CENI est installée pour sept ans non renouvelables. Aujourd’hui l’opposition réclame la recomposition de cette même CENI. Qu’est ce que cela vous inspire en tant que juriste?

Moi je pense qu’on ne peut pas vouloir d’une doctrine et renoncer à ses principes. Il est vrai que la loi 016 du mercredi 19 septembre 2012 consacre l’indépendance de la CENI. Mais pour autant qu’elle soit indépendante, cela ne veut pas dire que la CENI doit s’enfermer dans sa tour d’ivoire et faire ce que bon lui semble. La CENI est un organe de prestation au service des partis politiques. Il faut quand même aviser les partis politiques pour qu’ils s’accordent sur les résultats des élections et des référendums qui vont être organisés par cette institution et  puissent justement être crédibles et acceptés de tous. Mais au-delà, pour que les personnes qui vont être élues bénéficient de la légitimité nécessaire.

Cette indépendance doit donc être garantie  par les membres de la CENI qui ne doivent recevoir ni d’ordre ni d’injonction de la part de qui que ce soit ceci pour garder leur indépendance. Mais si les pouvoirs publics veulent influencer un groupe de la CENI et que l’opposition aussi veuille qu’un groupe à la CENI lui soit fidèle en tout  temps,  en ce moment les deux structures sont entrain de fragiliser cette institution. Et certains acteurs de la CENI vont jusqu’à prêter le flanc à cela. On ne peut pas vouloir d’une doctrine et renoncer à ses principes. Les mêmes acteurs politiques qui se plaignent aujourd’hui, ont été les mêmes qui ont voulu d’une CENI politique. Jusqu’à preuve de contraire dans le contexte actuel, on ne peut pas à l’heure là avec la crise de confiance entre les deux tendances et le mur de méfiance, fonctionner sur la base d’une CENI politique. Mais comme ils l’ont voulu pour qu’ils soient présents, pour que leurs yeux et leurs oreilles soient là pour éviter un certain nombre d’irrégularités en leur défaveur, ils doivent donc s’y soumettre. Mais à mon avis, une CENI politique ne peut jamais bien fonctionner mon cher journaliste ceci pour deux raisons.

Les commissaires qui ont été envoyés, étaient mandatés par les entités données, alors qu’il est mentionné au niveau de la loi 016 qu’une fois que ces personnes là sont mandatées, elles n’ont plus de liens avec leur base. Donc si ces commissaires prêtent l’oreille à leur base, ils auraient donc violé le serment prêté. Ce qui n’est pas normal et tombent sous le coup de la loi pénale. S’ils ne sont pas obéissants envers leurs bases respectives, ils  vont les accuser de tous les noms d’oiseaux et tous les pêchés d’Israël en disant : « non vous êtes achetés » et  ainsi de suite ainsi de suite. Mais le fait pour les acteurs aussi de ne pas obéir à leur base, dans un contexte marqué par la crise de confiance, automatiquement l’occasion est donnée pour qu’ils soient accusés de tous les maux.

Est-ce que l’argument selon lequel on doit remanier la CENI en fonction du paysage  politique tient sur le plan légal ?

Vous savez c’est le Droit qui encadre la politique mais malheureusement c’est le contraire car il n’y a pas de volonté politique. Même s’il y a une loi qui a été déjà adoptée et qui indique que non il faut sept ans, mais si cela peut être une  source de crise nationale, elle peut être remplacée. C’est donc une raison d’inviter les commissaires d’agir avec beaucoup de transparence,  les partis politiques doivent éviter d’influencer leurs représentants à la CENI pour ne pas fragiliser leur indépendance. Mais il faut nécessairement doter la Guinée d’une CENI technique et même une administration électorale permanente. Permanente pour que les gens viennent y travailler. Lisez les articles 20, 21 et suite, ils déclarent clairement qu’après une élection, la CENI arrête de fonctionner. Donc elle devient comme un général sans troupe. Imaginez par exemple l’article 17 de la loi électorale qui dit que le fichier électoral doit être révisé chaque année , c’est dire que 25 commissaires ne peuvent pas le faire. Donc il faut qu’il y ait une administration électorale permanente qui arrive à travailler régulièrement sur l’ensemble des activités électorales. Qui travaille à l’allure administrative normale du lundi au vendredi de 8h à 17h. Il ne fait donc pas attendre l’approche des élections pour se préciser sur la révision des listes électorales et autres.

 Si la CENI actuelle fait preuve d’efficacité en s’affranchissant de la pression des uns et des autres en jouant à la transparence et éviter toute influence que ça soit des QG des partis politiques ou des pouvoirs publics, la CENI pourra poursuivre car elle fera l’unanimité elle-même par des actes qu’elle pose. Cela sera bon non seulement pour l’image de l’institution mais aussi pour la légitimité des personnes qui vont être élues.

Nous nous acheminons vers les élections communales et communautaires, selon vous quelle serait la meilleure formule possible, est ce qu’il faut coupler les élections communales et communautaires et  la présidentielle, ou les faire séparément?

Bon au niveau des élections présidentielles couplées ou non, ce sont les acteurs qui peuvent être prêts pour le dire. De mon point de vue, pour qu’il y ait une élection crédible et transparente aux résultats acceptés de tout le monde en terme de légitimité conférée aux acteurs qui vont être élus, il faut maitriser trois paramètres. Le cadre juridique en Guinée…On a un cadre juridique électoral ambigu, incomplet, morcelé à maints endroits. Si les partis politiques de toutes obédiences confondues étaient malins, c’était justement d’exploiter les rapports de l’Union Européenne sur l’aspect juridique. Travailler sur cela au niveau de leurs quartiers généraux mais ils ne l’ont pas fait.

Deuxième aspect qu’il faut maitriser, c’est justement le corps électoral parce que c’est le fichier, c’est ça le peuple. La différence entre le peuple et la population est que le peuple c’est le corps électoral et la population c’est l’ensemble des personnes qui sont établies sur un territoire. Après le fichier, le troisième élément qu’il faut maitriser c’est l’organe qui organise les élections. Parce que Stalline disait que c’est déjà assez que la population sache qu’elle a voté mais ce qui est important, c’est l’organe qui fait le décompte. Au vu de tous ces aspects, je ne pense pas qu’actuellement la CENI puisse avoir la capacité de faire des élections couplées .

A suivre…

Entretien réalisé par Ismaël Camara, Décryptage Faberto

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