André Silver Konan dit non au projet de révision constitutionnelle du Président Alassane Ouattara. Dans une tribune fort détaillée, il développe ses trois raisons. A lire absolument.
Ma position est, on ne peut plus claire : NON. Non, non et non. Je rejette catégoriquement le projet de modification constitutionnelle introduit par le Président Alassane Ouattara au Parlement en Côte d’Ivoire. J’expliquerai pourquoi dans les lignes qui suivent. D’ores et déjà, j’invite, de ce fait, les députés et sénateurs du RHDP principalement, qui ont habitué leurs électeurs à des votes mécaniques les plus insultants pour leur propre intelligence, comme au temps des illettrés des Assemblées constituantes africaines ; à un sursaut démocratique. Au moins pour une fois, avant la fin de leur mandat. Je dis NON, pour plusieurs raisons.
Mais avant, il faut que je fasse une ou deux précisions. J’ai félicité Ouattara pour le fait qu’il a renoncé à un 3è mandat, conformément à la constitution. Cela entre dans la droite ligne de notre combat qui a consisté à soutenir, de façon constante, que la constitution ivoirienne ne lui permettait pas d’être à nouveau candidat, sauf à vouloir opérer un passage en force. Il le sait, tous ses juristes le savent, tous les rédacteurs de la constitution de 2016 le savent. En dehors de toute norme nouvelle sur la limitation du mandat écrite depuis 2000, il ne pouvait pas prétendre à un autre mandat. Il le savait très bien.
Il n’empêche, cette décision de sa part, me réjouit pour le seul fait qu’elle nous épargne une mobilisation contre le 3è mandat, qui aurait pu être meurtrière, à tout le moins sanglante, comme cela se passe actuellement en Guinée, avec un Alpha Condé gagné par une sénilité politique inégalée sur le continent au 21è siècle. De fait, un intellectuel prend position sur les sujets, pas sur les individus. Ce sont les politiciens hypocrites et sans discernement qui procèdent ainsi, pas les intellectuels libres et indépendants. Si j’ai félicité Ouattara pour avoir renoncé à un 3è mandat, je dis non à son projet de modification constitutionnelle, telle qu’il l’a soumis au Parlement. Ce sont deux sujets différents. Bref.
Première raison
La première raison de mon rejet de ce projet, est en rapport avec la forme, savoir cette propension au manque de respect constant pour les peuples ivoiriens, par la Présidence ivoirienne. L’on ne peut pas vouloir modifier une constitution qui va engager la vie de millions de personnes et mépriser ces millions de personnes en même temps, en les tenant à l’écart du débat citoyen préalable sur le sujet. C’est un mépris inacceptable, dont est coutumier le pouvoir RHDP, pour qui les masses laborieuses qui composent le digne peuple de Côte d’Ivoire, sont des moins que rien, dont l’avis ne devrait pas compter. Je n’invente rien, la méthode de la cachotterie avait déjà été utilisée en 2016, avant l’adoption de cette constitution qu’on veut réformer, sans que personne ne l’ai remise en cause. Preuve que la première mouture n’avait pas été suffisamment…réfléchie.
Recul démocratique
Revenons à notre sujet. Tenez, avant que la réforme des retraites n’arrive au parlement français, il y a bel et bien eu un débat citoyen préalable, même si, sans doute contaminé par ses fréquentations africaines, Emmanuel Macron semble privilégier la voie du passage en force. Cependant, pour qu’il y ait débat citoyen sur un sujet, il faut au moins que les dirigeants prennent la précaution respectable minimale d’éventer au moins les réformes qu’ils veulent introduire, des semaines ou des mois avant. Tel n’est pas le cas en Côte d’Ivoire où les dirigeants estiment que le citoyen est un misérable dont l’opinion ne doit pas compter. A preuve, c’est seulement hier, dans l’après-midi, que le projet a été remis aux responsables du parlement. Les députés qui vont adopter la réforme dans les prochains jours, l’ont découvert le même jour. Quel manque de respect !
Deuxième raison
La deuxième raison est encore dans la forme. Pourquoi Alassane Ouattara fait ça ? Pourquoi refuse-t-il d’aller jusqu’au bout de l’acte de renonciation, que nous avons personnellement salué ? Doit-on donc croire que toute cette précaution démocratique cache des agendas plus autocratiques que jamais, qu’il va nous sortir à mesure que nous avancerons ? Pourquoi refuse-t-il de sortir de l’histoire par la grande porte de la démocratie, surtout que cette tentative de passage en force inadmissible va détruire la bonne opinion née de sa renonciation ?
Troisième raison
La troisième raison est dans le fond. Parlons-en. Le point sur lequel je m’attarde aujourd’hui, c’est la disposition tendant à la nomination du vice-président. C’est un intolérable recul démocratique, une vision autocratique du pouvoir, qui consiste à estimer que cette importante personnalité devrait être un pantin entre les mains du Président élu. Dans ces conditions, il vaut mieux nous dispenser d’un vice-président avec tout ce que cela va avec comme économie sur les fonds publics, et faire du président de l’Assemblée nationale (première chambre du Parlement), le dauphin constitutionnel. Lui est un élu…
C’est simple. Le futur vice-président devrait être élu, sur un ticket avec le Président (ce qui lui conférerait une légitimité populaire). En tout cas, c’est ce que le même Ouattara avait proposé en 2016. Quatre ans plus tard, alors que cela n’a même pas encore été expérimenté, le même Ouattara nous dit que ce ticket qui n’a jamais été expérimenté, ne fonctionnera pas. Quelle audace !
Et qu’exige-t-il désormais ? Que le vice-président devrait désormais être nommé (article 55 nouveau), tout simplement parce Daniel Kablan Duncan, nommé à titre transitoire, lui est resté obligé (c’est bien le mot), en dépit de toutes les couleuvres qu’un homme ne pouvait pas accepter d’avaler, au détriment et très souvent de sa propre dignité (l’anniversaire chanté à Macron). Comment peut-on réduire la vie d’une Nation à la seule servilité d’une personne ? Tous les ministres nommés par Ouattara lui sont-ils restés fidèles ? Guillaume Soro qu’il a imposé en 2012 à la tête de l’Assemblée nationale, alors qu’il ne remplissait pas les conditions, lui est-il resté fidèle ? En quoi nommer un vice-président renforce notre démocratie ? En quoi cette pratique qui consiste à nommer et à limoger les vice-présidents comme le Président le veut, promeut la démocratie ?
Ouattara et Jammeh
J’ai assisté, dans mes pérégrinations, à une scène surréaliste en février 2013, à Bangui, entre Yahya Jammeh et sa vice-présidente d’alors, Isatou Njie-Saidy. Le premier a hélé, en public, sous mes yeux ébahis, par cette expression méprisante « Ho », la seconde et celle-ci qui accourait comme un toutou à la vue de son méchant maître. Anecdote sur un autocrate à vite oublier…
Le ticket présidentiel élu n’a-t-il pas déjà fait ses preuves au Ghana (suite à la mort de John Atta Mills) et au Nigéria (après la disparition de Umaru Yar’Adua) ? Pourquoi veut-on toujours faire compliqué ce qui est simple, pour des desseins inavoués ? Pourquoi devrait-on imposer aux Ivoiriens un vice-président qu’ils n’ont pas élu et qui pourrait devenir leur Président (cf article 62 nouveau, alinéa 1) pour le reste du mandat présidentiel (article 62 nouveau, aliéna 3), si quelque chose de grave arrivait au Président élu ? Ce président illégitime car nommé, n’organise même pas les élections dans les 90 jours, mais il achève le mandat du Président élu. Pourquoi faites-vous ça ? Est-ce cela la démocratie que vous apprise aux Etats-Unis ?
En effet, et c’est là tout le justificatif de la nausée que m’inspire ce texte méprisant, je n’accepte pas que le dauphin constitutionnel de notre pays soit un simple béni-oui-oui nommé, fusse-t-il après l’approbation du Parlement. En Gambie, malgré le fait que l’actuelle vice-présidente ne remplissait pas les conditions, Adama Barrow, tombeur de Jammeh a utilisé toutes sortes de contorsions pour imposer sa vice-présidente aux Gambiens. Pourquoi Ouattara refuse-t-il obstinément de copier les bons exemples, pour se sentir obligé, de nous imposer le mauvais exemple ? Non, non et non. Ce projet de révision constitutionnelle consacre un recul démocratique et une dérive autocratique. Elle insulte ma conscience de citoyen libre et indépendant. Et cette conscience indignée rejette cette insulte suprême. C’est non, non et non !
André Silver Konan