Phillip Carter III, l’ambassadeur américain en poste à Abidjan depuis trente mois, est un diplomate qui n’a pas sa langue dans sa poche. Présent souvent sur le terrain, il n’hésite pas à recadrer ses interlocuteurs quand ceux-ci s’écartent du droit chemin démocratique et des grands principes. Il était monté souvent au créneau lors de la crise post-électorale ivoirienne.
Vingt mois après la chute de Laurent Gbagbo, en avril 2011, le voilà qui sort de sa réserve pour dire tout haut que certaines choses ne marchent pas comme elles le devraient, et qu’elles iraient mieux si on faisait «ce qu’on a dit qu’on ferait». Ce 5 décembre, il a choisi son jour pour s’exprimer: Alassane Ouattara est à Paris et il vient d’être reçu à l’Elysée par le président François Hollande.
Avant de se lancer dans un examen sans complaisance de la situation ivoirienne, l’ambassadeur livre ce court préambule:
«Les Etats-Unis ont soutenu la personne (Ouattara) démocratiquement élue. Aujourd’hui, la situation est meilleure. Il y a des espoirs. Les problèmes sont profonds et réels. Ca va prendre beaucoup de temps pour trouver des solutions.»
Les «comzones» à la CPI
Expliquant, pour résumer, qu’il existe plusieurs terrains où le nouveau pouvoir ivoirien devrait mettre les bouchées doubles: la justice, la sécurité, la réconciliation et les questions sociales.
La justice, «c’est la pierre angulaire de la démocratie et du respect des droits de l’homme. Ouattara nous a dit qu’il ferait une application équitable de la justice. Comme bailleur de fonds, nous lui avons apporté une assistance technique pour réhabiliter les tribunaux avec l’Union européenne. Tout avait été pillé. Il a fallu commencer par racheter des tables et des chaises, réintroduire des juges là où il n’y en avait plus. Nous l’avons aidé. Nous espérons qu’il va tenir ses promesses. Il faut un processus judiciaire rigoureux et équitable», insiste Phillip Carter avant de lancer cet avertissement:
«Si un com-zone (ancien chef rebelle qui commandait une zone, ndlr) réclamé par le TPI n’était pas livré, ça poserait un problème à la communauté internationale.»
La sécurité? «Ca ne s’améliore pas, attaque l’ambassadeur américain. Il faut des réformes et le gouvernement doit faire plus. Le désarmement des combattants irréguliers comme les Dozos doit avancer plus vite.» Le diplomate prône une profonde réforme d’un appareil sécuritaire qui date des années soixante-dix. Il la juge même «très urgente».
Il pointe aussi le doigt sur la région martyr de Duékoué dans l’ouest du pays où des cadavres ont été découverts dans des puits depuis plusieurs semaines. Leur autopsie n’a toujours pas été publiée: «Cette zone très sensible doit être au centre de toutes les préoccupations. Le gouvernement a l’obligation de faire des enquêtes objectives pour trouver les coupables». Y compris sur le massacre de plusieurs centaines de Guéré, l’ethnie locale, froidement exécutés début avril 2011 selon un scénario qui rappelle Srebenica.
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