mercredi, décembre 4, 2024

« La résidence 2000 a été donnée à 250 000 francs » révèle le directeur de l’aménagement du territoire et de l’Urbanisme

Rachat des domaines publics de l’Etat par des anciens dignitaires, cession des domaines publics maritimes, inaccessibilité certains quartiers de Conakry, schéma directeur de la ville de Conakry, plan national d’aménagement du territoire, guineetime a rencontré le 5 janvier, le Directeur de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme (DATU). Dans cette interview, le directeur de la DATU, Ibrahima Camara, en plus des points su-cités, a parlé des efforts de sa direction et ses perspectives. Interview intégrale !

 

Guineetime:  Bonjour monsieur pour commencer, dites-nous ce que c’est la DATU?

Ibrahima Camara: La DATU, c’est la Direction d’aménagement du territoire et de l’urbanisme.   C’est une direction qui est là pour appliquer la politique du gouvernement en matière d’aménagement du territoire et de l’Urbanisme. Et, à ce titre, nous avons ici quatre divisions. La première division est chargée d’Etudes et de Planification générale du schéma national d’aménagement du territoire. La deuxième division s’occupe de la délivrance des différents titres de propriété et de la surveillance des occupations des sols et  veille au contrôle des différents outils de planifications. La troisième division est chargée d’assainissement que ça soit les déchets solides et autres ; c’est avec cette division que nous avons réussi à faire le système d’égout de la commune de Kaloum grâce à l’accompagnement de nos partenaires internationaux. Enfin, la dernière division est celle des voiries et réseaux divers. Elle s’occupe principalement des différents maillages et désenclavement des différents quartiers dans les zones urbaines, et les travaux de liaison inter-quartiers et de desserte des différentes zones de nos villes.

Quand on parle des qualités d’un ministre, on nous dit souvent que le poste est politique. Mais, un directeur est quand même un technicien. Alors, qu’avez-vous apporté depuis votre arrivée à la tête de la DATU ?
Je suis arrivé à la tête de cette Direction depuis juillet 2011, grâce à la volonté du président de la République qui veut donner non seulement une chance à la jeunesse, mais  aussi permettre à cette jeunesse d’affirmer sa compétence. C’était un vrai défi pour moi. Mais, grâce à la collaboration de l’ensemble de nos collaborateur du département, nous avons eu à faire un certain nombre d’activité qui ont réussi. Dans un premier temps, nous avons eu à travailler sur le traitement des dossiers, la diligence du traitement  et la réorganisation de nos différents services afin de faire participer réellement l’ensemble des cadres à la production et surtout au traitement des différents dossiers.

La diligence, nous aurons peut être à le vérifier avec les citoyens sur le terrain, mais qu’est ce que vous avez apporté de plus concret depuis votre arrivée ?

En plus de ce que je viens de citer, il y a cette rigueur qu’il fallait apporter à la direction. Parce que nous avons traversé un passé très douloureux dans ce pays. Avec la gestion un peu totalitaire ou toute la terre appartenait à l’Etat pendant la première République, et avec la deuxième République où on a eu à créer les différentes structures avec la promulgation du code foncier et domanial en 1990 et du code de l’urbanisme en 1998. Cela a entrainé une certaine interprétation au niveau de la population. Chose qui a créé beaucoup de désordres  dans la gestion foncière. Il fallait donc, à notre arrivée, remettre en place les différentes structures permettant à l’Etat de reprendre les choses en main.  C’est ainsi qu’à notre arrivée nous avons renforcé le système de contrôle urbain qui n’existait plus. Ce contrôle nous permet de déceler toutes les occupations anarchiques des domaines de l’Etat. Vous verrez partout des dénonciations à travers ces marquages qui annoncent la démolition de ces constructions anarchiques.  Nous faisons également face à l’occupation des DPM, domaine publics maritimes sur laquelle la direction travaille avec beaucoup d’efficacité.

Vous parlez des domaines publics maritimes, peut-on classer la « Résidence 2000 » dans ce cadre ?

La « Résidence 2000 » est une autre histoire ! Le constat  est réel. Je ne voudrais pas qu’on entre dans ces détails. Nous avons le code domanial relatif au titre foncier. Qui dit dans son  article 101 que le Domaine public maritime est inaliénable. Donc à ce titre on ne peut pas faire une cession, on ne peut faire qu’une concession. Et à ce titre l’Etat même ne peut pas céder. Malheureusement, avec Résidence 2000 ça a été une violation.

On nous a dit que les occupants ont été déguerpis alors qu’ils avaient des papiers officiels attestant la légalité de leurs occupations…
N’entrons pas dans ces polémiques. Nous avons tous les dossiers afférents à cette Résidence 2000. Nous savons que ça a été donné à 250 000 francs guinéens. Comment vous pourrez comprendre qu’on puisse céder à plus de 3 hectares à 250 000 GNF ? Et, depuis lors, aucun franc n’a été payé dans les caisses de l’Etat. Cependant le code est très clair là-dessus. Il y a eu une nette violation ! Le domaine compte trois parties. Il y a la première partie la plus grande d’ailleurs et qui a fait l’objet d’un décret au temps du défunt général Lansana Conté. Ce décret avait cédé le domaine. Ce qui était une violation du Code domanial. Ça, c’est un premier aspect. L’autre aspect est qu’on ne peut pas céder un tel domaine contre un tel montant. Car, même le dernier des guinéens pouvait bien payer ce montant. Il y a un deuxième lot qu’on a cédé  par une simple lettre. Un ministre d’alors a signé la simple lettre pour céder la partie à un particulier. Là, également, il y a eu violation. Car, aucune procédure n’a été respectée dans ce domaine. A notre arrivée, nous leur avons demandé de se mettre en règle. A l’initiation du ministre, le département a adressé une lettre officielle au Président de la République pour l’informer de cette situation anormale de la Résidence 2000. Nous avons estimé qu’il fallait que les occupants régularisent leur situation. Nous leur avons dit que pour cette partie déjà construite, ils pouvaient faire des concessions avec l’Etat pour leur permettre de faire l’exploitation pendant une durée d’année en payant des taxes annuellement à l’Etat, comme le prévoit les textes de loi. En ce qui concerne les terrains qui n’étaient pas mis en valeur, nous avons constaté que le délai a expiré, car il est prévu un temps de trois ans avant la mise en valeur d’un domaine cédé. Or, ce délai a été largement dépassé, il y a plus de dix ans. Nous avons donc dit qu’il fallait que ces domaines reviennent à l’Etat.

Nous avons appris que ces domaines récupérés auraient été aussitôt cédés à d’autres particuliers…

Vous savez que certains sont très forts en mensonge et en allégation ! C’est de la désinformation.

Et, le cas du troisième domaine alors ?
Je dis il qu’il y a effectivement une troisième partie qui était là : les actes signés et un titre foncier, mais c’est la mer…

Que dit réellement le code dans de pareils cas?
 Pour des raisons d’intérêt public, l’Etat peut céder un domaine public maritime, mais on ne doit pas- et en aucun cas- céder la mer à quelqu’un ! Cependant, pour des projets d’intérêt public, l’Etat  peut faire des concessions pour une exploitation à durée déterminée. Mais le domaine reste toujours dans le portefeuille de  l’Etat. Et, la durée dépend des termes du contrat.

Mais, avec les informations qui circulent, ne risque-t-on pas  de voir tous les domaines publics occupées hier par les amis de Lansana Conté, aujourd’hui occupés par les amis de Alpha Condé ? Et, demain ce ne serait pas une surprise de voir ces derniers déguerpis à leur tour par les amis du prochain président ?
Nous sommes à l’heure du changement ! Il faut un changement de mentalité dans tous les domaines. Il ne faudrait pas qu’on cherche des bouc-émissaires pour dénaturer les choses. Ce que nous faisons relève des actes administratifs. Les choses ont été démontrées qu’il y avait beaucoup d’irrégularités dans l’occupation de cet espace de la Résidence 2000. Et, je voudrais dire que malgré tout cela, il y a une volonté affichée du gouvernement d’encourager les différents investisseurs. Donc, il faut agir conformément au règlement.

Qu’est ce qui s’est passé finalement ? Vous avez dépossédé les propriétaires des deux domaines ou d’un seul domaine ?
Non ! Personne n’a été dépossédé. Nous les avons tout simplement invité à se mettre en règle, conformément à nos codes. Nous leur avons demandé de se mettre en contact avec le ministre pour qu’on règle la situation de façon à ce que tout soit désormais conforme aux principes de l’Aménagement et de l’Urbanisme. Ceci, pour avoir une concession, pour créer un bail avec l’Etat guinéen sur la partie où ils ont investi. Concernant, la deuxième zone ou rien n’a été encore fait, nous sommes très clair là-dessus : cette partie revient dans le portefeuille de l’Etat.

En attendant de les affecter à des proches ? On parle notamment des étrangers amis au fils et conseiller du président…
Non ! Pas du tout… Je vous dit que là-bas, on ne pourra pas céder. Il n’y aura que des concessions. L’Etat pourrait peut être un jour concéder l’espace à quelqu’un pour des projets d’intérêt public. Dès lors, les candidats peuvent manifester le désir en présentant leurs dossiers pour qu’on les examine comme ça se doit. Et, si les dossiers sont en règle, rien n’empêchera qu’il y est concession.

Si on peut résumer vos efforts, on peut dire que c’est principalement faire déguerpir les gens pour récupérer les domaines de l’Etat ?
Nos efforts ont été des mesures dissuasives jusqu’à maintenant. Nous nous sommes déployés à informer les gens que ce n’est plus le laisser-aller comme avant. L’Etat a ses domaines  et que la liberté des uns et des autres s’arrête là où commence celle de l’Etat. La loi est claire : lorsqu’il y a une occupation des domaines réservés, l’Etat a la possibilité de reconquérir  légalement tout ce qui lui appartient. Le Schéma directeur de la ville permet à l’Etat de réserver tous ses domaines utilisables pour les projets d’intérêt public. 

Des anciens premiers ministres, notamment Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo, Jean Marie Doré sont souvent parmi les anciens dignitaires accusés d’avoir occupé les domaines de l’Etat. Vont-il être dégagés comme le cas avec la résidence 2000 ?

Vous me surprenez quand même dans l’interview-là ! Parce que vous citez des cas qui frôlent un peu la honte. Les gens que vous citez sont des respectables personnalités que je ne voudrais pas qu’on cite nommément ici.

Vous voulez dire qu’ils sont au-dessus de la loi ?
La loi est très claire : quand il y a une acquisition d’un domaine de l’Etat et que la procédure ne soit pas respectée, l’Etat a le droit de se faire justice et de reconquérir son domaine.

Dans ce cas Cellou Dalein et Sidya sont menacés ou pas ?
Parlant du cas de Cellou, son domicile de Dixinn fait partie des parcelles occupées par plusieurs ministres depuis le temps de Kéita Fodéba. Alors que le domaine était bien dans le porte feuille de l’Etat. Ça a été une violation ! Et, ça, l’Etat peut reconquérir ses biens car ces parcelles ont été cédées illégalement à des prix dérisoires…

Cellou a acheté là-bas à combien ?
Faites vos enquêtes, comme vous êtes journaliste, vous pourrez peut-être le savoir. Ou bien allez-y poser cette question à Cellou Dalein, il est mieux placé pour vous le dire.

Et, le cas du domicile de Sidya Touré ?
Chez Sidya vous le savez ! Son domaine servait de logement à des groupes artistiques nationaux comme le Horoya-Bande. Vous pouvez également faire des enquêtes à propos pour connaitre la suite. C’est vraiment un héritage douloureux pour l’Etat. Car les biens publics ont été bradés à des particuliers. Vous voyez bien qu’on a de la peine à appliquer la loi. Mais, nous l’appliquerons coûte que coûte. Déjà, nous sommes heureux de constater l’engouement des investisseurs et des ambassades qui apprécient nos efforts. Et, nous allons poursuivre cette démarche pour que ce qui est à l’Etat revienne à l’Etat. C’est dommage de constater que les gens continuent à brader les terres de l’Etat. Même à l’intérieur du pays les domaines de l’Etat ont été hypothéqués, comme c’est le cas de Maférinya ou plusieurs hectares des parcelles de l’Etat sont menacés d’occupation. Toutes ces parcelles seront récupérées.

On a l’impression que la nouvelle tendance rappelle celle de la première République où les terres appartenaient à l’Etat…
Ce n’est pas une violation de la propriété privée. C’est une planification pour des intérêts publics. Malheureusement, le Code n’a pas été bien élaboré. Quand je prends le cas du Mali, on reconnait que tout le monde peut acquérir un domaine, mais la primauté est donnée à l’Etat. Nous sommes donc entrain de vulgariser l’information pour que les populations soient bien outillées dans ce sens.

Quelle différence fait-on entre le schéma directeur de la ville de Conakry et le plan national d’aménagement du territoire ?
Le schéma directeur, c’est pour le développement d’une localité donnée. Ça a un périmètre plus limité. Tandis que le plan national d’aménagement du territoire, c’est l’ossature autour de laquelle doit se faire le développement global équilibré entre les différentes partie du territoire national. Ce plan englobe tous les secteurs de développement.

Ce plan semble absent à Conakry, car certains quartiers sont presqu’inaccessibles. Le président Alpha Condé a même qualifié certains quartiers de ghetto…

Oui ! Le pays a été confronté à une violation de schéma directeur des villes. Nous avons eu l’un des meilleurs schémas qui a défini les grandes planifications pour Conakry. Des orientations qui ont doté l’Etat de plusieurs zones réservées. Des zones qui nous ont permis d’avoir par exemple des routes transversales dans la capitale ou encore d’autres  domaines ou des infrastructures publiques. Cependant, il faut préciser que dans plusieurs cas, les choses n’ont pas été respectées à la lettre. Il faut donc une politique soutenue pour que l’Etat ait le contrôle de toute sa planification. Et, je vous dis qu’à Conakry les deux tiers des occupations sont des occupations spontanées. Les gens sont venus occuper avant l’Etat donc leur déguerpissement dépendra de la nécessité d’intérêt public. C’est le cas par exemple des quartiers de Bambéto, Koloma et Dar-Es-Salam… qui sont très  enclavés.

Il  y a donc une forte probabilité de déguerpissement de ces zones ?
Je vous dis que tout dépendra de l’intérêt public. Si un endroit est enclavé, c’est créer des difficultés pour les habitants. Et, pour résoudre ces difficultés, il faut parfois casser les œufs! Mais, je dis déjà que ces quartiers eux-mêmes ont exprimé leur volonté de se voir désenclaver. Avant d’être directeur, j’ai travaillé sur plusieurs plans de désenclavement de la zone. Ces quartiers souhaitent eux-mêmes avoir des routes pour permettre l’accès facile aux habitations. Ils attendent donc l’accompagnement de l’Etat pour l’aménagement de la zone. Quand je prends le marché de Koloma, c’est le deuxième plus grand marché de Conakry, après Madina. Ce marché, aujourd’hui, n’est pas aménagé ! Tout le monde est dans la rue parce que justement il n’y a pas d’accessibilité à l’intérieur, faute de routes. Il  faut donc l’aménager pour permettre l’accès et la sécurité des commerçants.

A vous  entendre on a l’impression qu’il ya beaucoup de défis à relever et quelles sont donc vos priorités ?
Les priorités commencent par la restauration de l’autorité de l’Etat, permettant le respect des différents lieux de planification notamment le schéma directeur de la ville, le schéma national d’aménagement du territoire, les domaines de l’Etat, et les DPM (domaines publics maritimes). Ceci nous permettra d’appliquer efficacement l’ensemble de nos planifications. D’autres défis, c’est faire en sorte que les quartiers précaires soient intégrés dans le tissu urbain par les travaux de viabilisation et de désenclavement. Aussi, il faut poursuivre les projets de construction des routes nationales et amorcer les projets de construction des logements sociaux. Le chantier est vraiment vaste, mais avec la volonté des autorités rien n’est impossible.

Vous parlez tantôt de logement sociaux, est ce qu’il y a déjà des critères d’occupation, quel genre de citoyen pourra avoir accès à ces logements ?
Ce sont les guinéens moyens, bien entendu. Ceux qui n’ont pas les possibilités de s’offrir un premier logement. Toutes les facilités sont déjà créées dans ce sens. De toutes les façons, à la fin des travaux de construction, les modalités d’accès seront communiquées aux populations.

Votre mot de la fin
Je vous remercie et je vous dis seulement qu’en tant que journalistes  allez toujours à la source d’information. Cela vous permettra sans nul  doute de respecter votre éthique et votre déontologie. Je vous remercie d’avoir effectué le déplacement vers notre direction. Nous comptons sur vous pour la vulgarisation de nos informations qui nous aiderons à mieux sensibiliser les populations sur la mission qui nous a été confiée par monsieur le président de la République à travers le ministère de la ville et de l’aménagement du territoire.

Interview réalisée par  Ismaël Camara et Nouhou Baldé

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