Existe-t-il des aménagements possibles pour les joueurs musulmans ? Le jeûne peut-il déstabiliser une équipe ? Explications.C’est le dilemme pour les joueurs musulmans du Mondial : doivent-ils respecter le mois de Ramadan, pilier de l’Islam, qui débute ce week-end, ou s’abstenir ?
Existe-t-il des aménagements possibles pour les joueurs ? Le jeûne peut-il déstabiliser une équipe ? Le « Nouvel Observateur » fait le point.
Combien de joueurs concernés ?
Le jeûne devrait concerner peu de joueurs encore en lice dans la Coupe du monde brésilien. Plusieurs équipes issues de pays musulmans (Iran, Bosnie…) ont été éliminées dès le premier tour.
Reste évidemment les joueurs de la sélection algérienne, qualifiée jeudi face à la Russie, tous musulmans selon « Le Parisien ». Mais aussi, dans une moindre mesure, les futurs adversaires nigérians de la France.
Enfin, plusieurs joueurs « isolés », notamment en France (Benzema, Pogba, Sissoko ou Sagna notamment), en Allemagne ou en Suisse, sont également de confessions musulmanes, mais dans des sélections où les autres confessions sont majoritaires.
Reporter ?
Si la FIFA, qui a programmé des matches à 13 heures, heure brésilienne, n’a pas du tout pris en compte le facteur « Ramadan » dans l’organisation du Mondial, de nombreux aménagements sont rendus possibles par les autorités religieuses. En tant que « voyageurs », les musulmans bénéficient en effet du droit de reporter le mois de Ramadan à une période ultérieure, tout comme les femmes enceintes ou les malades.
Selon le site d’actualité musulmane « Saphirnews.com », « bien que les plus performants devraient rester dans ce pays plus d’un mois jusqu’à la finale, ils peuvent toujours être considérés comme des voyageurs du fait des déplacements répétés dans différents stades du pays au cours de la compétition ».
Cette solution est souvent adoptée par les individus isolés des équipes où les autres confessions sont majoritaires. Le Belge Nacer Chadli, cité par « Foot01.com », a ainsi expliqué qu’il était « hors de question de suivre le Ramadan pendant les entraînements et les matchs ».
Et s’ils ne peuvent (ou veulent) reporter leur jeûne, le site Al-Kanz.org évoque une possible « compensation », « comme l’indique un verset coranique (sourate 2, verset 184). Cette compensation (fidiya) consiste à nourrir deux pauvres par jour où le jeûne n’a pas été observé. »
S’abstenir ?
D’autres joueurs, comme le milieu de terrain allemand Mesut Özil, ont choisi de ne pas observer le Ramadan en cette année de Mondial.
Je travaille et je vais continuer à le faire », a-t-il expliqué. « Donc je ne ferai pas le Ramadan car je travaille. C’est impossible pour moi de le faire cette année ».
De son côté, le sélectionneur de l’équipe de France Didier Deschamps a expliqué mercredi qu’il n’avait « rien à ordonner » à ses joueurs de confession musulmane.
« Ce sont des sujets sensibles et délicats », a-t-il déclaré.
Je n’ai rien à ordonner. On respecte la religion de tout le monde. Les joueurs ont l’habitude, ce n’est pas aujourd’hui que l’on découvre la situation. Je n’ai aucune inquiétude et chacun s’adaptera à la situation. »
Prendre le « risque » de jeûner ?
Au Brésil, quelques joueurs devraient néanmoins observer au jour près le calendrier du jeûne, à l’image des joueurs de l’équipe d’Algérie qui ont quasiment tous prévu de le faire. Avec les dangers afférents.
« Ça me paraît très compliqué de respecter strictement le Ramadan pendant une Coupe du monde », estime ainsi Claude Leroy, qui a lui-même, par le passé, accompagné les internationaux de la sélection d’Oman pendant un Ramadan.
Pour les matches à 13 heures ou à 17 heures, comment voulez-vous faire ? Surtout pour l’hydratation… C’est impossible et même dangereux », juge Claude Leroy, qui suit cette année le Mondial comme consultant de Radio France.
Pour cette Coupe du monde, les Algériens ont engagé à leurs côtés le Dr Hakim Chalabi, ancien médecin du PSG devenu, grâce à ses travaux réalisés à la clinique Aspetar de Doha au Qatar, l’un des référents de la Fifa sur le sujet du jeûne chez les footballeurs, avec le Dr Yacin Zerguini, également membre de la Commission médicale de la FIFA.
« C’est une période où le risque de blessures augmente, notamment au niveau des lombaires, des articulations et des muscles », indique Hakim Chalabi. Essentiellement d’ailleurs en raison de la déshydratation et non de l’absence d’alimentation.
Le niveau de nutrition doit changer. Il faut aussi modifier la qualité des aliments, afin de s’adapter à l’exercice. Les joueurs doivent mieux s’hydrater. Nous leur conseillons en outre d’allonger la durée de leur sieste pendant l’après-midi, afin de récupérer une partie de leur temps de sommeil », ajoutent-ils avec le Dr Yacin Zerguini dans leur étude.
Des conseils validés par l’expérience de Madjid Bougherra, capitaine de la sélection algérienne : « Le plus dur, c’est l’hydratation. Mais ça va, le climat est bon. Certains joueurs peuvent reporter leurs jours. A titre personnel, je vais voir en fonction de mon état physique mais je pense le faire. »
Le risque est également sportif. L’Ivoirien Kolo Touré a ainsi reconnu qu’il ne pourrait pas être à 100 % de ses moyens pendant les cinq premiers jours du jeune, durant lesquels le corps doit s’adapter au changement, rappelle « Foot01.com ».
Le Brésil, plus clément que les JO de Londres ?
Au Brésil, les musulmans désireux de respecter le calendrier officiel du Ramadan ont malgré tout un allié : le soleil qui se couche autour de 17h30 annonçant la rupture du jeûne. A Londres, durant les derniers jeux Olympiques où la question du Ramadan avec également fait débat, il leur fallait attendre 20h30 ou 21 heures pour s’alimenter.
Les matches de 13 heures seront donc vraiment les plus durs…
Le Ramadan, source de motivation ?
Une fois les précautions médicales respectées, le jeûne s’avère parfois source d’inspiration ou de motivation pour les joueurs. Les performances de certains joueurs « s’améliorent encore pendant le jeûne », note le Dr Yacin Zerguini, qui reconnaît qu’il ne faut pas « chercher les réponses à ces questions dans le fonctionnement du métabolisme humain ».
« C’est plus mental. Souvent, il faut montrer aux entraîneurs qui ne sont pas d’accord [avec le fait d’observer le Ramadan, NDLR] qu’on est là à 200% », explique en effet Madjid Bougherra. « J’ai pu être un peu boycotté à cause de ça, on était trois ou quatre musulmans à l’entraînement mais on était toujours les premiers en tests physiques. On s’en sortait sans problème. »
Un constat étonnant relayé par Hakim Chalabi qui a souvent observé ce phénomène de transcendance lors de ses séjours en Europe : « On nous demandait souvent d’inciter les joueurs à ne pas observer le jeûne », raconte l’ex-médecin du Paris SG, « mais curieusement, il y a des sportifs qui ont de meilleurs résultats pendant le Ramadan parce que le jeûne est désiré. Cela peut même devenir une aide spirituelle et psychologique. »
Nouvel Observateur