vendredi, avril 19, 2024

Le père et la fille se disaient « amoureux »

Parfois, les faits divers ont la froideur de ces phrases purement informatives. On n’a ni les visages, ni l’histoire en entier. Que des bribes, le vertige d’une porte ouverte vers des destins tragiques. Qu’on referme aussitôt. Et puis parfois, en revanche, on a un choc. Car le visage de ce père et de cette fille, leurs voix, je m’en souviens parfaitement.

Le rendez-vous avait été donné dans un KFC dans une zone industrielle glauque, pas loin de Compiègne. Un drôle d’endroit pour une rencontre. J’étais persuadée que mes interlocuteurs allaient annuler. Ce père incestueux et sa fille avaient en effet accepté de me raconter pour la première fois leur version de l’histoire, une histoire inaudible, gênante, incompréhensible, même, celle d’un « amour » consenti des deux côtés.
Ne rien dire à l’école « pour éviter les médisances »

Mais ils sont arrivés, à l’heure. Ils se ressemblaient l’un et l’autre, le père et la fille, 50 et 32 ans, avec ces mêmes yeux clairs, ce même débit posé, cette même façon d’argumenter, lui un peu rondouillard et souriant, un bon père de famille, elle, une grande blonde, belle fille, sûre d’elle, solide, pas l’image qu’on se fait d’une victime.

Nous avons commandé, des chicken wings sauce texane pour lui, une salade pour elle, ils avaient l’habitude de manger là, ils connaissaient les goûts de l’un l’autre par cœur, comme un vieux couple, qu’ils étaient, de fait. Nous sommes montés à l’étage, il y avait autour de nous des familles, des enfants. Là, Damien et Sylvie M. (les prénoms ont été changés, NDLR), sans montrer la moindre gêne, le moindre embarras, m’avaient raconté en détail leur histoire, cet inceste qui durait depuis vingt ans – Sylvie avait quinze ans quand tout avait commencé, peut-être moins, elle a toujours dit quinze ans pour protéger son père – leur vie matrimoniale, cet enfant qu’ils avaient eus ensemble. Il savait, m’avaient-ils affirmé. Damien et Sylvie n’avaient rien voulu lui cacher, mais ils l’avaient prévenu qu’il valait mieux ne rien dire à l’école « pour éviter les médisances ».
« On ne peut rien contre l’amour »

C’était dérangeant, à la limite de l’insoutenable, de les entendre raconter les débuts de leur « amour », sous les yeux complices de la mère, dans le rôle de la marieuse, cette maison du grand n’importe quoi où toutes les frontières étaient abolies, où le père régnait sur son harem : Sylvie était jalouse de sa sœur cadette, dont le père abusait également… Damien M. était passé par deux fois aux assises. Mais les « victimes » continuaient de défendre ce père, mi-gourou, mi-tyran, avec acharnement. A son procès en appel en 2012, en huis clos, l’homme avait été condamné à cinq ans de détention dont trois avec sursis… et était ressorti libre, puisqu’il avait déjà effectué sa peine. Au grand « soulagement » de Sylvie et sa sœur qui nous avaient confié toutes les deux leur « bonheur » que leur père n’ait pas à retourner derrière les barreaux.

Dans le KFC, Sylvie, très calmement, lançait des énormités comme :
Moi et mon père, on est amoureux. On va libéraliser le mariage gay, alors peut être qu’un jour, nous deux, on ne sera plus hors la loi. »

Le père tempérait : « Non, l’inceste doit rester un tabou. Mais, nous deux, c’est vrai, on n »a pas pu résister. On ne peut rien contre l’amour ».

Il y a un an, encore, ils étaient revenus passer dire bonjour à leur avocat Hubert Delarue : « Je les ai toujours vus ensemble. C’était un couple uni, fusionnel, elle, presque plus revendicative que lui, très affirmée, à demander qu’on les laisse tranquilles vivre leur vie comme ils l’entendaient. J’ai déjà eu des cas comme cela de jeunes femmes me demandant de défendre leur père incestueux, mais en général, quand l’homme est en prison, l’emprise cesse. Là, il avait fait de la prison, mais ça durait depuis vingt ans cette histoire tout de même… ». Pour Florence Danne Thiéfine, avocate de la mère, mise au ban de cette famille toujours regroupée autour du père, « cet homme était un tyran, obsédé par le contrôle. C’est ce qui explique qu’il ait réussi à garder une emprise sur sa fille et ses enfants si longtemps. Il avait besoin d’eux, pour le procès, par exemple, il fallait qu’ils jouent tous cette comédie du bonheur ».
L’enfant était à l’étage pendant la tuerie

Mardi 7 octobre, Damien a fait irruption à « Tenzo Autos », le garage où travaillait sa fille. Elle venait de le quitter. Elle s’était installée dans l’Eure il y a trois semaines. Tentait-elle de se libérer, enfin, de son emprise ? S’était-elle réveillée, brusquement, après vingt ans de déni ? Le père s’était-il livré à des violences? L’ employeur de Sylvie, Frédéric , garagiste, père de famille de 31 ans, l’avait en tout cas hébergée dans un appartement au dessus du garage, pour lui permettre de s’éloigner de ce père abusif. Damien M. n’a pas supporté. Il est venu au garage, a tiré sur le jeune patron, s’est avancé vers sa fille qui se trouvait au volant d’une dépanneuse, a fait feu, par deux fois, à l’épaule, et sur la tempe, puis il a retourné l’arme contre lui. Frédéric et Sylvie sont morts sur le coup. Damien M. est en état de mort cérébrale.

L’enfant, âgé de 13 ans, cet enfant dont le père était le grand père, dont la mère était aussi la demi-sœur, était en haut, dans l’appartement au premier étage du garage, au moment de la tuerie. Au procès du père, pour tenter d’expliquer la situation de cette famille qui, devant les jurés, jouait les clans unis derrière le patriarche, façon Mélodie du Bonheur, un expert psychologique avait eu cette phrase, insensée : « Il y a peut-être des incestes heureux ». Non, il n’y en a pas.

Doan Bui – Le Nouvel Observateur

 

 

 

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