Depuis Canada où il suit les cours en prélude à l’ouverture prochaine en Guinée, de l’école nationale de l’administration (ENA), Mohamed Camara juriste, garde un œil sur le Burkina Faso en pleine révolution. Sur son compte facebook, il a publié en guise de sa contribution, une réflexion sur l’avant projet de la Charte pour le cadrage de la transition dans ce pays frère. Lisez plutôt l’intégralité de cette analyse!
« L’avant projet de Charte pour le cadrage de la transition avec ses 24 dispositions articulées autour de VI Titres, a des forces et des faiblesses en 4 points non exhaustifs.
Les forces :
1°)- La volonté d’aller vers la 5ème République en vertu de l’article 23
2°)- La courte durée d’un an pour la transition, garantie à l’article 21
3°)-L’inéligibilité des autorités de la transition en application de l’article 4
4°)- Le nombre raisonnable de membres de Gouvernement (25 membres) à l’Assemblée de la Transition (90 membres), conformément aux articles 10 et 13 de la Charte.
Au titre des faiblesses :
1°)- La possibilité de révision de la Charte avec l’initiative concurrente (soit par le gouvernement – qui pourrait trouver des prétextes, soit par un tiers des membres de l’Assemblée de la transition qui pourrait jouer les prolongations compte tenu des rapports de force en présence et des intérêts en jeu) en application de l’article 20.
2°)- Le fait de priver les Burkinabè établis à l’extérieur de droit de vote aux présidentielles et aux législatives sous l’angle de l’article 22 de la Charte.
Voilà qui viole l’article 12 de la Constitution qui dispose que « Tous les Burkinabé sans distinction aucune ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société. A ce titre, ils sont électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi ».
L’argument de ce refus est techniquement inopérant, juridiquement infondé et socialement dangereux –tant il vrai que ceci pourrait créer un clivage entre les fils du pays et priver le pays du potentiel de sa diaspora-.
3°)- L’oxymore consistant à vouloir rétablir la Constitution et donner en même temps la primauté de droit à un document de cadrage transitionnel qui n’est soumis au référendum encore moins à une autre procédure solennelle. Pour s’en convaincre, il est fait mention à l’article 24 que : « Les dispositions constitutionnelles légales et règlementaires contraires à la présente Charte de la transition sont abrogées ».
Voilà qui ne plairait pas peut-être, au grand juriste Autrichien Hans Kelsen en temps normal de droit.
4°)- La place officielle donnée à la Communauté internationale en vertu de l’article 19 qui dispose que « La communauté internationale accompagne le Burkina Faso tout au long de la période transition en lui apportant son aide et son soutien politique et financier pour une transition démocratique, civile, apaisée et inclusive».
Ceci devrait couler de source ou le souhaiter de vive voix au travers des allocutions de circonstance. De là à en faire un texte, il n’y a pas qu’un à ne pas franchir. Le fait de le mentionner clairement, rendrait invalide tout argument d’ingérence dans les affaires intérieures que certains souverainistes seraient prompts à invoquer.
Quoiqu’il en soit, il y a des raisons d’espérer pour le Burkina Faso. Il faut seulement trouver le schéma. Puis, composer l’équipe tout en ayant la présence d’esprit que l’armée ne facilitera pas son sevrage au lait de la vache laitière. Il y a lieu d’être vigilant vu que la gestion de ce pays a été très marquée par la présence militaire. De Sangoulé Aboubacar Lamizana à Yacouba Issac ZIDA en passant par Saye Zerbo, Jean-Baptiste OUEDRAOGO, Thomas SANKARA et Blaise COMPAORE.
Petits conseils aux législateurs Africains !
Faites comme la Guinée. Verrouillez le mandat présidentiel en l’intégrant dans les intangibilités constitutionnelles à l’instar de l’article 154 de la Constitution guinéenne du vendredi 7 mai 2010, qui dispose que « La forme républicaine de l’Etat, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision».
Avertissement aux autres :
-Le Burundi qui vise l’article 96 de la Constitution pour l’échéance de juin 2015.
-Le Congo Brazzaville qui vise l’article 57 de la Constitution pour l’échéance de juillet 2016 ;
– La République Démocratique du Congo qui vise les articles 70 et 220 de la Constitution pour l’échéance de décembre 2016 ;
– Le Rwanda qui vise l’article 101 de la Constitution pour l’échéance de juillet 2017 ;
Ceux qui l’ont déjà fait, ce n’est pas un droit acquis pour vous :
Le Togo depuis 2002, le Gabon depuis 2003, l’Ouganda depuis 2005, le Tchad depuis 2005, l’Algérie depuis 2008, le Cameroun depuis 2008 et l’Angola depuis 2010.
A ceux qui se disent aussi démocratiquement élus, respecter les textes au nom desquels vous fondez la légalité de vos régimes face à la force légitime de la contestation populaire résultant de certains de vos faits et gestes aux antipodes de l’Etat de Droit.
En droit constitutionnel, l’accès, l’exercice et la transmission du pouvoir se font suivant les règles acceptées par les populations. Celui qui ne le respectera point, subira l’ironie du calendrier parallèle (Amadou Toumany TOURE est venu au pouvoir en mars et est réparti en mars, Moussa Dadis CAMARA est venu en décembre et est réparti en décembre, Blaise Compaoré est venu un jeudi 15 octobre et a été chassé un jeudi 30 octobre par une révolte populaire). On peut multiplier les « exemples » à l’envie.
Velléitaires de la Présidence ad vitam aeternam, apprenez des erreurs des autres ! A bon entendeur, bienvenue !!! «
Mohamed CAMARA, juriste et analyste politique.
Depuis Canada