Guinée-Conakry : L’évasion spectaculaire de prisonniers de la Maison centrale, lundi 09 novembre, a réactivé les critiques sur la situation préoccupante des prisons en Guinée. En tout cas, cet évènement qui a mis en mouvement toute la hiérarchie militaire et qui continue à défrayer la chronique à Conakry, confirme les multiples alertes du ministre des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, Gassama Diaby. Mais aussi, dans une certaine mesure, celles de son homologue de la Justice.
En effet, depuis trois ans, Gassama Diaby — actuellement en dehors du pays pour des missions à Addis-Abeba, Durban et Paris (sur les questions de droits de l’homme,de paix et de réconciliation en Afrique)— n’a cessé de sonner l’alerte sur la situation préoccupante des prisons, des détenus et des procédures judicaires.
Surpopulation carcérale, conditions de détention médiocre, détention abusive, emprisonnement facile, procédure judiciaire longue… sont souvent dénoncés par ministre des Droits de l’Homme. Sa dernière alerte remonte au 21 octobre dernier. Alors que le Comité de pilotage du programme d’appui à la réforme de la justice tenait sa première réunion dans un réceptif hôtelier de Conakry, le ministre des Droits de l’Homme avait saisi l’occasion pour rappeler qu’une justice forte passe aussi par le respect des droits des citoyens en conflit avec la loi. Gassama avait rappelé la nécessité pour la justice de mettre fin à la surpopulation carcérale, les détentions abusives et « les emprisonnements faciles sans raison » qui sont pour lui source de graves violations de droits de l’homme, mais aussi de violences et d’insécurité. « Le premier élément d’une politique pénitentiaire juste est de ne pas mettre les gens en prison si facilement. Et, la première manière à lutter contre la surpopulation carcérale est de réserver l’emprisonnement à des cas graves et justifiés », disait Gassama Diaby.
Gassama le disait en connaissance de cause. En 2014, au cours d’une tournée dans les lieux d’incarcération de la capitale, notamment à la Maison centrale, Gassama Diaby a fait part d’un constat alarmant. «Ce que j’ai vu ici est indescriptible », avait d’abord signalé Diaby à sa sortie d’une visite de plus de deux heures dans les cellules de la Maison centrale. Avant d’enchainer des qualificatifs désagréables sur les conditions de détention des prévenus et détenus. Selon ses propres termes, il y a à la Maison centrale de Conakry tout un ensemble de situation qui déshonore le pays.
En plus de déshonorer, ces conditions de détention «mettent la Guinée en contradiction avec ses propres lois ainsi qu’avec ses engagements internationaux ». Gassama Diaby disait avoir constaté une Maison centrale surpeuplée. Où des mineurs partagent les cellules avec des majeurs. Des délinquants cohabitent avec des criminels. Des prévenus y ont passé plus de 10 ans sans avoir jamais vu un juge. Des femmes y vivent avec leurs nourrissons. Pour des cellules de deux mètres carrés, il y a plus d’une dizaine de détenus. Des hommes normaux cohabitent avec des malades mentaux…
Cette année 2014, Gassama avait prolongé sa tournée dans les prisons de l’intérieur du pays. Après quoi, il avait proposé la libération de certaines catégories de détenus. Notamment : les mineurs, les malades, les femmes en situation de fragilités n’ayant pas commis de crimes ou de délits graves, la libération ou le jugement immédiat des détenus ayant largement dépassé le temps de détention légale… L’emplacement de la Maison centrale, au plein coeur de Kaloum, a aussi toujours été critiqué par Gassama Diaby.
«Cet emplacement n’est bon ni pour les prisonniers, ni pour les citoyens qui habitent à côté. » Et lundi, les populations riveraines qui ont suivi le scénario d’ » Hollywood » n’ont pas manqué de réitérer leur souhait de voir partir la Maison centrale de leur quartier. Autre réalisation de la «prophétie » de Gassama.
Dans le tohu-bohu de ce lundi 09 novembre, les détenus eux-mêmes n’ont pas manqué de scander : « jugement ! Jugement ! » Disons que le moment était bien choisi pour faire cette réclamation. Puisque, des hauts cadres du ministère de la Justice étaient là pour l’entendre.
Pour leur part, même si on les a pas vu sur le terrain ce lundi, les cadres du ministère des Droits de l’Homme seraient déjà à pied d’oeuvre pour des enquêtes approfondies sur cet événement. En attendant la fin de cette enquête, on peut se demander quelle sera la réaction du Ministre Gassama à son retour au pays. Quand on sait que l’attentent est grande chez les familles des prisonniers, des collectifs d’avocat et des ONG de défenses des droits de l’homme pour lesquels il reste l’interlocuteur privilégié.
In Guinéenews