Neuvième plus long cours d’eau en Afrique, le fleuve Sénégal est géré depuis 1972 de manière collective, via l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), qui regroupe le Sénégal, le Mali et la Mauritanie ainsi que la Guinée depuis 2006. L’institution panafricaine n’a rien de poussiéreuse et redouble même d’ambition, avec cinq nouveaux barrages et un marché commun de l’énergie, décidé en mars 2015. Entretien avec son haut commissaire, Kabiné Komara, 65 ans, ancien banquier et ex-Premier ministre de la Guinée.
RFI : A quels enjeux l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) doit-elle faire face ?
Kabiné Komara : Les pluies diminuent d’année en année et se font irrégulières. Nous devons stocker l’eau et rendre son utilisation plus rationnelle, car la sécurité alimentaire de nos populations en dépend. Dans notre région, le taux d’efficacité de l’irrigation dépasse rarement 20%. Autrement dit, 80% de l’eau pompée pour irriguer les champs est perdue en cours de route, à cause de la vétusté des canaux, des techniques d’irrigation et de l’infestation de l’embouchure du fleuve par les plantes aquatiques nuisibles telles que le typha.
Quels plans concrets ont-ils été mis en œuvre ?
Plusieurs barrages ont été construits : Diama en 1986, à 30 km de l’embouchure du fleuve, pour stopper les remontées d’eaux salines et stocker 500 millions de mètres cubes d’eau. Cette réserve approvisionne en eau les villes de Nouakchott (à 100%) et de Dakar (à 50%). En 1988, le barrage de Manantali a été édifié au Mali, pour retenir à son tour 11,5 milliards de mètres cubes d’eau, irriguer des terres arables et générer de l’électricité. Une centrale de 200 MW a été installée en 2003. La centrale au fil de l’eau de Félou, d’une capacité de 60 MW, a été inaugurée en 2013 au Mali. Aujourd’hui, cinq nouveaux barrages sont en projet, en Guinée et au Mali, pour générer à moyen terme 826 MW supplémentaires d’hydroélectricité.
Où se situeront-ils ?
Le premier chantier va démarrer cette année à Gouina, au Mali, avec un barrage de 140 MW situé sur un affluent, le Bafing. Le barrage de Gourbassi sera édifié sur un autre affluent, la Falémé, à la frontière sénégalo-malienne. C’est un ouvrage à buts multiples d’une puissance installée de 18 MW, qui permettra surtout de contrôler les eaux de la Falémé, pour améliorer la navigation et l’irrigation. Les trois autres ouvrages se trouvent dans le haut bassin guinéen, à Koukoutamba, Bouréya et Balassa.
Quelles sont les perspectives pour votre réseau de distribution d’électricité ?
Il passera de 1 700 à 4 000 km à l’horizon 2025 et palliera à l’important déficit actuel en termes d’accès à l’électricité. A ce jour, seulement 54% des ménages du bassin sont raccordés au réseau – un taux qui descend à 13% dans les zones rurales. Nous prévoyons une production de 1 205 MW à l’horizon 2030, en vue de l’autosuffisance énergétique. Nous allons nous positionner comme un acteur majeur de production et d’échange d’énergie entre le nord et le sud de notre région, car notre réseau sera interconnecté avec celui du West African Power Pool (WAPP).
Construire des barrages suffit-il ?
Non, bien entendu, car les projets de l’OMVS ne portent pas seulement sur l’énergie. Nous comptons rendre le fleuve navigable de son embouchure jusqu’au port fluvial d’Ambidédi, près de Kayes au Mali, sur un trajet de 905 km. Un port fluvial et maritime sera construit d’ici deux à trois ans à Saint-Louis, avec des escales qui jalonneront les deux rives du fleuve jusqu’à Ambidédi. D’une façon globale, l’ensemble de notre programme prévoit d’injecter 4 milliards de dollars d’ici 2025 dans les projets prioritaires de l’OMVS, tous secteurs confondus.
De quels moyens disposez-vous ?
Outre la contribution des Etats membres, nous mobilisons le concours financier des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux. Notre budget de fonctionnement est réparti égalitairement entre les pays membres. Pour les activités du secteur marchand comme l’énergie, nous mobilisons des prêts à travers les Etats qui, par la suite, rétrocèdent ces financements à la société utilisatrice, la Sogem, qui en assure le remboursement. Voilà comment nous finançons les barrages hydroélectriques et le réseau de transport associé.
L’OMVS peut-elle vraiment faire face au réchauffement climatique ?
Notre organisation est née précisément pour relever de tels défis. Lors de la grande sécheresse de 1972, le bétail a été décimé, les champs asséchés, tandis que l’eau salée est remontée de l’Atlantique vers les terres, dans la région de Saint-Louis. Notre mode de gestion concertée nous a valu d’être classés, en août 2015, en tête du «quotient mondial de coopération en ressources en eau transfrontalières », établi par le Strategic Foresight Group, un think tank international basé à Bombay, dans un rapport qui passe en revue 84 organismes de gestion de bassin fluvial. Les acteurs de l’eau du continent ont créé le Réseau africain des organismes de bassin (RAOB). Ce n’est pas un hasard si nous en assurons le secrétariat technique permanent dans nos locaux à Dakar.