Le ministre de l’Économie n’a pas démissionné du gouvernement. Il ne s’est pas déclaré candidat. Mais ses provocations le placent dans une situation quasi intenable.
Pas besoin de militants anti-loi travail pour mettre de l’ambiance au meeting d’Emmanuel Macron. Plusieurs heures avant qu’une grappe de syndicalistes révoltés n’accueille les sympathisants du ministre de l’Économie à coups de jets d’oeuf et de slogans tels que «Macron m’a tué », Manuel Valls avait déjà lancé les hostilités. Depuis le Sénat, le Premier ministre a lâché une petite phrase explosive mardi après-midi : « Il faut que tout cela cesse. » Le chef du gouvernement en avait déjà assez des libertés prises par son ministre ? Il a dû s’étrangler en découvrant le contenu du discours d’Emmanuel Macron mardi soir à la Mutualité, prononcé devant 3 000 partisans de son mouvement En marche !.
Il est 22 h 30 quand le ministre de l’Économie clame sur scène, au terme d’une heure et demie d’intervention : «Je vais prendre tous les risques. Ce mouvement maintenant, plus rien ne l’arrêtera, parce que c’est le mouvement de l’espoir et que notre pays en a besoin. Ce mouvement, nous le porterons ensemble jusqu’en 2017 et jusqu’à la victoire ! » Emmanuel Macron ne s’est pas déclaré clairement candidat à la présidentielle, pas plus qu’il n’a démissionné du gouvernement. « Nous ne sommes candidats qu’à une chose : faire un programme, porter une vision, juste changer le pays », a-t-il simplement expliqué, disant vouloir mettre sur pied «un plan de transformation » du pays, d’ici à la fin de l’année.
«Nous commençons à écrire une nouvelle histoire »
Mais il a poussé la provocation à ce qui ressemble à un point de rupture. «Nous commençons à écrire une nouvelle histoire. […] Imaginez où nous serons dans trois mois, dans six mois, dans un an ! » a-t-il scandé devant des partisans qui se sont mis à scander « Macron président ! », brandissant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Marchons, marchons ! » ou «Bougeons les lignes ». Parmi eux, dans la salle, l’épouse du ministre Brigitte Trogneux, les députés Arnaud Leroy et Richard Ferrand, les sénateurs Gérard Collomb et François Patriat, le communicant Robert Zarader ou encore l’écrivain Erik Orsenna.
Emmanuel Macron a beaucoup travaillé la forme de son meeting. Il s’est livré, comme lors du lancement d’En marche ! le 6 avril, en mode stand-up, bien que cette fois entouré sur scène des jeunes qui l’accompagnent dans sa « grande marche », devant un fond aux couleurs du drapeau français. Sans micro, s’appuyant sur un prompteur, certains passages paraissaient répétés et donc joués. Reste que le ministre était bien plus à l’aise que lors de ses précédentes prestations.
Sur le fond, en revanche, Emmanuel Macron ne livre pas encore de propositions. Elles viendront «dans les prochains mois », dit-il. Il dessine plutôt l’esquisse d’un projet en balayant tous les sujets : économie, Europe, écologie, école, guerre en Ukraine, menace terroriste, laïcité, rapport à l’islam, identité française… Ce sont les «circonstances exceptionnelles », dit celui qui se revendique «de gauche » mais appelle à une solution transpartisane, qui le poussent à avancer ses pions. Macron promet d’autres meetings, d’autres combats, pour la poursuite de sa « nouvelle histoire ». Qui semble difficilement compatible avec la solidarité gouvernementale exigée par le couple exécutif…
«Le président de la République m’a fait confiance »
François Hollande est relativement épargné, bien que Macron dresse depuis des mois un implacable constat sur la situation du pays. Jamais cité, le président de la République récolte même un gentil hommage lorsque son ancien secrétaire général adjoint à l’Élysée souligne ce qu’il lui doit : «Le président de la République m’a fait confiance et je ne l’en remercierai jamais assez. »
Manuel Valls, en revanche, doit avoir les oreilles qui sifflent. Visiblement galvanisé par les attaques, et par celle de l’après-midi même – «Il faut que tout cela cesse » –, Macron s’est fait un plaisir de rendre hommage à Michel Rocard, mentor de Valls, faisant se lever la salle, puis applaudir l’épouse de l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, présente ce soir-là : « On ne récupère pas Michel Rocard, des gens ont essayé. Ils n’ont pas réussi. Bon courage à ceux qui veulent le faire maintenant. » Il s’en reprendra au chef du gouvernement en plaidant contre ceux qui veulent aller chasser le foulard à l’université » : «Je ne crois pas qu’il faille de nouvelles normes » pour cela, a-t-il dit, allant à l’encontre de la position de Manuel Valls. L’ambiance promet d’être bonne entre les deux hommes ce mercredi matin au conseil des ministres.
in Le Point