dimanche, novembre 24, 2024

Guinée : ce qu’il faut comprendre de l’affaire Beny Steinmetz

CORRUPTION. Le magnat franco-israélien est jugé cette semaine à Genève, accusé d’avoir versé des pots-de-vin contre l’octroi du plus grand gisement de fer au monde.

Par Le Point Afrique

C’est un procès hors norme qui s’ouvre ce lundi 11 janvier à Genève. Celui du magnat franco-israélien Beny Steinmetz, sexagénaire au regard bleu acier né en Israël en 1956. Depuis sept ans, son affaire occupe les policiers des États-Unis à la Guinée, en passant par Israël. Même le FBI et la CIA ont été mobilisés. Aujourd’hui, le Ministère public suisse l’accuse d’avoir fait verser, via des comptes suisses, d’importants pots-de-vin en échange de droits miniers, notamment sur le plus grand gisement inexploité de fer au monde, Simandou, situé dans le sud de la Guinée. L’audience, qui se tient devant le tribunal correctionnel de Genève, doit durer une semaine, mais le verdict ne sera rendu que dans deux semaines.

« L’affaire du siècle »

Tout remonte à la fin des années 2000, lorsque le gouvernement guinéen de l’ancien président Lansana Conté avait déchu, peu avant sa mort en 2008, le groupe anglo-australien Rio Tinto de l’exploitation de l’un des plus importants gisements de fer au monde, à Simandou en Guinée, au profit de la société Beny Steinmetz Group Resources (BSGR). Jusque là, tout allait bien pour ce fils de tailleur de diamants, dont le père, installé vingt ans plus tôt en Palestine, fut l’un des pionniers de l’industrie des gemmes. Héritier de l’entreprise, Beny Steinmetz a fait fructifier l’affaire dans les ressources naturelles et l’immobilier. Sauf qu’en 2010, à la suite de son élection, le nouveau président Alpha Condé a lancé une remise à plat de tous les permis d’exploitation minière accordés par son prédécesseur Lansana Conté (1984-2008), annulant notamment les droits de BSGR en 2014, après une enquête approfondie menée par des proches du milliardaire, George Soros.

Après des années d’enquête, le parquet genevois soupçonne qu’un « pacte de corruption » aurait alors été passé entre Beny Steinmetz, et ses représentants en Guinée, et Lansana Conté ainsi que sa quatrième épouse, Mamadie Touré. Les pots-de-vin présumés s’élèveraient à environ dix millions de dollars (8,2 millions d’euros).

Nicolas Sarkozy en médiateur

Mais cette affaire aurait pu ne jamais être jugée. Car un accord amiable a bien été trouvé, notamment grâce à une visite de Nicolas Sarkozy à Conakry. L’ancien chef d’État français, redevenu avocat, a fait office de « facilitateur » entre Beny Steinmetz et le président guinéen Alpha Condé, raconte Jeune Afrique. Et après des années de bataille, Beny Steinmetz et la nouvelle présidence guinéenne étaient parvenus début 2019 à un accord convenant que BSGR renonce aux droits sur Simandou en échange d’un abandon des poursuites pour corruption. Cet arrangement n’a toutefois pas mis fin aux poursuites engagées par le parquet genevois.

À 64 ans, l’homme d’affaires et diamantaire conteste entièrement les conclusions du parquet genevois qui l’accuse de « corruption d’agents publics étrangers et de faux dans les titres ». « Nous plaiderons [son] innocence », a assuré son avocat, Marc Bonnant, à l’AFP. En 2013, Beny Steinmetz avait affirmé, dans une interview à un journal français, avoir investi 170 millions de dollars dans cette mine, avant d’en revendre 51 % en 2010 au groupe brésilien de matières premières Vale pour 2,5 milliards de dollars, soit presque 30 fois plus cher. Une transaction qualifiée par certains médias de « casse du siècle ».

Beny Steinmetz est jugé aux côtés de deux autres prévenus, dont le Français Frédéric Cilins, collaborateur externe de BSGR, qui a été condamné à de la prison ferme aux États-Unis en 2014 dans ce dossier, et Sandra Merloni-Horemans, directrice du groupe BSGR à Genève à l’époque. « Cette affaire est une triste illustration de la problématique de la malédiction des ressources naturelles : soit le fait qu’un pays aussi riche en matières premières que la République de Guinée reste prisonnier d’une pauvreté extrême et paradoxale », a expliqué Géraldine Viret, porte-parole de l’ONG suisse Public Eye. Par ailleurs, a-t-elle dit, « l’affaire Steinmetz illustre les ravages de l’opacité lorsque des groupes s’en servent pour réaliser des profits gigantesques sur le dos de pays pauvres ».

Le cas de Mamadie Touré

Mamadie Touré doit, elle, être entendue durant le procès comme témoin le 13 janvier. « C’est le personnage clé dans cette affaire, mais il est peu probable que Mamadie Touré assiste en personne au procès. Elle vit aujourd’hui aux États-Unis, où elle bénéficie d’un statut de témoin protégé », a indiqué Géraldine Viret de Public Eye, qui, en 2013, avait publié un organigramme très complexe de BSGR. La défense clame de son côté que Beny Steinmetz « n’a jamais versé un centime à Mme Mamadie Touré », et assure que cette dernière n’était pas l’épouse du président Conté, mais simplement maîtresse n’exerçant aucune influence.

La façon dont l’ancien procureur Claudio Mascotto chargé du dossier a mené l’enquête est également contestée par la défense, qui l’accuse d’avoir voyagé de façon informelle en Israël sans le mentionner dans le dossier. Si une demande de récusation de M. Mascotto a été rejetée l’an dernier, c’est désormais un duo de procureurs – Yves Bertossa et Caroline Babel Casutt – qui a repris le dossier. Les trois coaccusés risquent jusqu’à dix ans de prison.

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