Conakry, Guinée – Plusieurs guéris de la maladie à virus Ebola en Guinée ressentent des « séquelles » liées à cette épidémie qui a fait plus de 11.000 décès en Afrique de l’Ouest, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Dans la vie quotidienne de ces personnes guéries d’Ebola, rien ne sera plus comme avant.
Estelle Loua, mère de quatre enfants, est une guérie d’Ebola, résidant à Coyah, à plus de 50 kilomètres de la capitale Conakry. Son époux, un médecin, est décédé d’Ebola en 2014, avant de la contaminer. Admise au CTE de Donka, Estelle a été sauvée.
« Après six mois de ma sortie du CTE, j’ai commencé à avoir des douleurs au niveau de mes articulations, les maux d’yeux, de reins… Un ophtalmologue était venu du Maroc pour s’occuper de mes yeux. Puisqu’à la sortie du centre de traitement, c’est comme si j’avais du sable dans les yeux. C’était difficile » affirme-t-elle.
« J’avais des céphalées, des douleurs corporelles jusqu’à cinq mois après ma sortie du CTE. Je me fatiguais vraiment beaucoup. Physiquement, je ne pouvais tenir dans les moments de relations sexuelles avec ma femme, qui a eu le courage de rester à mes côtés en dépit de cette dure épreuve » explique Sylla, rencontré dans la commune de Matoto.
« C’est grâce à un médecin chez lequel je suis allé à Matam, que cette asthénie a considérablement diminué. Le médicament prescrit était vraiment cher » poursuit ce matelot de formation. Aujourd’hui, Sylla savoure le bonheur d’être papa. Sa femme et lui ont un garçon qui respire la santé.
« 1076 guéris » en Guinée
Depuis mars 2015, il a été mis en oeuvre en Guinée, par l’Institut Français de Recherche pour le Développement (IRD), le projet PostEboGui. Selon Dr Abdoulaye Touré, celui-ci assure actuellement au service de maladies infectieuses de l’hôpital Donka et certains hôpitaux préfectoraux, la prise en charge médicale gratuite avec remboursement du transport et le suivi biologique de 802 guéris sur les 1076 identifiés par l’ancienne Coordination nationale de lutte contre Ebola, soit 74,5% de l’ensemble des guéris.
« (…) près de 40% d’entre eux ont présentés ou présentent toujours des signes généraux, des céphalées, ou des douleurs articulaires, 18% de troubles oculaires parfois graves » précisait le Pr Eric Delaporte, Directeur de Recherche à l’IRD et à l’INSERM, à l’occasion de la cérémonie de pose de la première pierre du . Centre de Recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG).
« Nous avons malheureusement quelques enfants aveugles à prendre en charge. Les séquelles auditives sont également parfois très invalidantes et nécessitent d’être appareillées. La recherche de virus Ebola dans le sperme a été retrouvé jusqu’à 550 jours après la sortie d’un centre de traitement Ebola démontrant la nécessité d’un suivi prolongé » alerte Pr Delaporte.
Après près de 2 années d’épidémie de la maladie à virus Ebola, la Guinée a été confrontée à la résurgence de cette épidémie le 17 mars 2016 dans la Sous-préfecture de Koropara, préfecture de Nzérékoré qui s’était propagée à la Sous-préfecture de Kouankan, dans la préfecture de Macenta.
Après 42 jours sans un nouveau cas d’Ebola, le Représentant de l’OMS en Guinée, le Dr Abou Beckr GAYE a fait le 1er juin 2016 la déclaration de la fin de la transmission interhumaine de la maladie à virus Ebola en Guinée.
La Guinée a enregistré un un chiffre cumulé de 3. 814 cas enregistrés dans le pays, avec 2 544 décès, a dit Dr Sakoba Keita, ancien coordinateur de la lutte contre Ebola. Aujourd’hui, cette structure cède ses locaux à l’Agence nationale de la Sécurité Sanitaire (ANSS), grâce à un décret du président Alpha Condé, a enregistré 1270 personnes guéries d’Ebola dont 52 décès.
« Quelques uns n’ont pas été retrouvés et 1160 sont sous contrôle dont 625 femmes » précise Dr Mômô Camara, Médecin en service à l’ANSS.
« Stigmatisation »
Les personnes guéries avec lesquelles nous avions pu échanger parlent quelques fois, avec douleur, des scènes incroyables de rejet, de discrimination, de stigmatisation dans les communautés.
« Moi je ne pouvais plus aller payer des condiments au marché. Ma famille et moi, personne n’allait rendre visite à un voisin ou assister à une quelconque cérémonie, car on nous fuyait » se rappelle Mahawa Bangoura, mère de 6 enfants. Elle a été aussi contaminée par son défunt mari, ayant à son tour contracté le virus Ebola au CHU Donka.
Les révélations de dame Estelle sont encore poignantes. « A ma sortie du CTE, à Coyah ici, on m’a interdit les toilettes publiques. Les voisins m’ont dit que je vais y mettre le virus. Ma famille m’a chassé avant en refusant de me loger dans la maison » se rappelle-t-elle, les yeux en larmes.
« On a raconté au bateau battant pavillon russe que j’ai eu Ebola, lorsque je me suis retourné au port de Conakry, des semaines après ma sortie du CTE, et depuis ce jour, j’ai été mis à la porte » reconnait Sylla.
Au moins un guéri d’Ebola sur quatre reconnait à Postebogui avoir ressenti les faits de discrimination dans sa communauté.
« Ebola a changé des vies »
Trois cent (300) personnes guéries d’Ebola reparties entre les villes de Conakry et Coyah, se retrouvent au près d’une association dont le siège se trouve à Matoto, banlieue de Conakry.
Ibrahima Savané, responsable de cette organisation a fait le constat selon lequel plusieurs victimes d’Ebola dans des familles sont des piliers.
Le témoignage de Loua Estelle dans cette vidéo
« Il y a des étudiants, après la mort de leurs parents, qui sont obligés d’abandonner les études pour pouvoir s’occuper du reste de la famille » cite-t-il en exemple.
« Ebola a vraiment changé notre vie. Et imaginez que mon mari est décédé et je dois m’occuper de la famille. Je n’ai aucun travail » se lamente M’Mahawa.
Estelle Loua, jadis commerçante de textiles, avec un budget avoisinant 12 millions de francs guinéens (soit 1.200 euros), est réduite après la maladie à vendre des feuilles de manioc au marché de Coyah. Le bénéfice quotidien ne peut excéder 100 mille francs guinéens par jour (environ 10 euros).
Pire, après être déclarée morte au CTE, la belle famille de dame Estelle a vendu le bâtiment construit par son défunt mari à Conakry.
« Ils m’ont dit qu’ils sont entrain de s’entre-tuer à cause du second bâtiment de mon mari à Macenta -au Sud de la Guinée-. Et m’ont menacé que si je veux ma mort, de me rendre là-bas pour réclamer les documents de ces maisons ainsi que son bulletin de solde » regrette-t-elle.
« Mes enfants ne peuvent plus aller dans une école privée. J’en ai plus ces moyens. Nous cherchons à survivre » dit-elle.
« Ebola a changé des vies, fissuré le tissu social et provoqué assez de divorces dans les couples » nous informe Savané, de l’Association des personnes guéris d’Ebola.
« Activités génératrices de revenus »
A l’Agence nationale de la Sécurité sanitaire, Dr Momo Camara informe que l’heure est à la réflexion pour le soutien de ces survivants dans plusieurs aspects et pour l’élaboration de projets d’activités génératrices de revenus et la mobilisation de fonds pour les soutenir en faveur des personnes guéries d’Ebola.
Déjà, l’Association des personnes guéries révèle que 81 membres sont déjà formés à la création d’activités génératrices de revenus dans les secteurs comme la saponification.
« Si nous avons les moyens financiers, nous pouvons bien mettre sur pied une unité de production de savons » espère Savané de l’Association des guéris d’Ebola.
Pour l’heure, des « démarches » au près des partenaires sont vaines, regrette le responsable de l’Association des personnes guéries.