vendredi, avril 26, 2024

Mali : IBK : le nouveau locataire du palais Koulouba

A 68 ans, le Kankeletigui, (« l’homme qui n’a qu’une parole »), comme le surnomment ses partisans, avait raison d’être confiant.

Le ton se voulait déjà solennel. « Quand vous sentez cette fusion profonde avec votre peuple, vous êtes un homme en paix. » A la veille de l’élection présidentielle, le 26 juillet, Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK ») affichait sa sérénité. Vêtu d’un boubou bleu pâle, portant de fines lunettes, l’homme semblait bien un peu fatigué. De retour à Bamako après une campagne éreintante, il enchaînait les dernières interviews avant le scrutin, avec le sentiment d’être à deux doigts de la consécration : « Le Mali, je le porte en moi. »

A 68 ans, le Kankeletigui, (« l’homme qui n’a qu’une parole »), comme le surnomment ses partisans, avait raison d’être confiant. Arrivé largement en tête du premier tour, il a devancé son rival Soumaïla Cissé au second, lundi 12 août, selon des résultats provisoires. M. Cissé a reconnu sa défaite.

CINQ ANS À LA PRÉSIDENCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

IBK est issu du sérail. Natif de Koutiala, dans la région de Sikasso (sud), il a fait ses études supérieures en France, où il a passé vingt-six ans. Il enseignera, notamment, à l’université de Paris-I Tolbiac. Lorsqu’il rentre au Mali en 1986, le pays est en pleine effervescence contre la dictature de Moussa Traoré, qui sera renversé en 1991. IBK devient alors l’un des plus proches collaborateurs d’Alpha Oumar Konaré, le premier président de l’ère démocratique du pays. Il sera son directeur adjoint de campagne, son ministre des affaires étrangères et enfin son premier ministre de 1994 à 2000.

Au cours de ces six années, le gouvernement qu’il dirige mate les révoltes étudiantes et envoie des opposants en prison, notamment en 1997. Sa réputation d’homme à poigne se forge à ce moment. En 2000, écarté de l’investiture au sein de sa formation politique en vue de la présidentielle, IBK quitte l’Adema, le parti au pouvoir, pour fonder le Rassemblement pour la République (RPM). Objectif de cette rupture : être élu à la présidentielle.

Il échouera deux fois, en 2002 et en 2007, face à ATT. En 2007, il obtient 19 % des voix au second tour. Il conteste ces résultats, dénonce des fraudes. Il n’est pas le seul, mais perd ce combat. Il gardera le goût amer d’une victoire volée, mais retient ses militants prêts à descendre dans la rue. Comme « lot de consolation », il est nommé à la tête de l’Assemblée nationale : il y restera cinq ans (2002-2007).

Alors qu’approche la présidentielle d’avril 2012, il fait figure de favori. Le putsch du capitaine Sanogo et ses hommes interrompt le processus le 22 mars. Dix-huit mois plus tard, après la prise du Nord qui le hérisse tant, puis l’intervention française qu’il n’accepte que du bout des lèvres, le voici de nouveau face à la possibilité de la victoire. Avant le vote, il avait averti : il était face à son « dernier combat ».

Pour le gagner, l’homme a mis en branle une machine très efficace. Avec une campagne de communication orchestrée par Havas et Voodoo, l’agence qui a accompagné Alassane Ouattara dans le tumulte de l’élection en Côte d’Ivoire en 2010, IBK a été omniprésent. Ses affiches de campagne l’ont montré tour à tour en costume à l’occidentale, en grand-père bienveillant ou en bon musulman. L’homme veut faire oublier sa réputation de noceur, héritée de ses années parisiennes. A présent, ses références à la religion sont constantes. « C’est le candidat socialiste et il a fait la campagne la plus conservatrice », souligne une source diplomatique.

« JE SUIS SOUTENU PAR L’ARMÉE MALIENNE DANS SON INTÉGRALITÉ »

Ses liens avec les militaires suscitent des interrogations. Lors du putsch en mars 2012, il est le seul dirigeant à ne pas avoir été inquiété par la junte. Des passerelles discrètes ont-elles été ouvertes entre putschistes et conseillers de l’ex-premier ministre ? « Je ne suis pas soutenu par les militaires, je suis soutenu par l’armée malienne dans son intégralité », affirme-t-il à présent, avant d’ajouter en passant à cette troisième personne du singulier qu’il utilise pour solenniser ses propos : « IBK est fier de ce soutien des forces armées et des forces de sécurité du Mali, tous corps confondus. »

Pendant sa campagne, il a surtout reçu l’appui de l’organisation religieuse Sabati, proche du Haut Conseil islamique du Mali. Cela augure-t-il d’une remise en cause de la laïcité du Mali ? « Je ne me serais jamais plié à une telle exigence », affirme-t-il.

Membre de l’Internationale socialiste, Ibrahim Boubacar Keïta est lié avec Laurent Fabius, François Hollande et se dit proche de Manuel Valls. Cela en fait-il le « candidat de la France » ? Il s’en défend. Paris a poussé pour que les élections soient organisées au plus vite au Mali. Ce calendrier a été désavoué par un responsable politique malien comme Tiébilé Dramé, qui le jugeait, comme d’autres, précipité. Pour IBK, la date des élections a été choisie par les Maliens : « Ce n’est pas François Hollande, ce n’est pas Laurent Fabius, ce n’est pas Jean-Yves Le Drian qui l’ont décidée. On me sait membre de l’Internationale socialiste, mais avec aucun de ces hommes précités, nous n’avons parlé de mon sort. »

Pendant la campagne, il s’est posé en garant de l’unité du Mali, dans un pays traumatisé par la menace de partition de 2012. Ces deux derniers mois, il s’est rendu dans les trois villes du nord : Tombouctou, Gao et Kidal. En 2006, il avait contesté les accords d’Alger signés avec les rebelles touareg du Nord, en affirmant que certaines de ses dispositions remettaient en cause la souveraineté nationale. Dans le Mali d’ATT, le Guide libyen, Mouammar Kadhafi, exerçait une forte influence.

Avec IBK, le ton promet de changer. Les grandes décisions, désormais, seront prises à Bamako. « Il a su incarner l’attente des Maliens pour la restauration de l’Etat », explique un observateur européen. « Le Mali a besoin d’un homme d’Etat qui lui redonne sa fierté », répétait IBK en fin de campagne. Un discours qui semble répondre aux attentes du pays. Se souvenant de la répression des années 1990 contre les étudiants, certains ne cachent pas leur crainte de voir un jour cette autorité se transformer en autoritarisme.

Dans l’immédiat, l’ex-premier ministre insiste sur son intention de changer les pratiques politiques, et affirme : « Cet homme, IBK, n’a jamais manqué à l’honneur, détourné un centime ni trompé son peuple, cet homme est réputé savoir défendre l’intérêt du Mali devant n’importe quel interlocuteur, d’où qu’il vienne, de quelque pays qu’il fût et sans complexe aucun. « 

 

 

 

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