samedi, mai 11, 2024

Mohamed Camara, Juriste : « Il faut rouvrir les écoles parce que les fils des nantis continuent d’étudier à l’extérieur »

Mohamed Camara, juriste, analyste politique
Mohamed Camara, juriste, analyste politique

Mohamed Camara, jeune universitaire est un juriste. Il a bien voulu accorder à la rédaction de guineetime.com, une interview dont nous publions la dernière partie. Entre autres sujets d’actualité évoqués, la problématique du couplage des prochains scrutins local et présidentiel, l’Institution nationale indépendante des droits humains, Ebola etc.. Lisez!Nous nous acheminons vers les élections communales et communautaires, selon vous quelle serait la meilleure formule possible, est ce qu’il faut coupler les élections communales et communautaires et  la présidentielle, ou les faire séparément?
Bon au niveau des élections présidentielles couplées ou non, ce sont les acteurs qui peuvent être prêts pour le dire. De mon point de vue, pour qu’il y ait une élection crédible et transparente aux résultats acceptés de tout le monde en terme de légitimité conférée aux acteurs qui vont être élus, il faut maitriser trois paramètres. Le cadre juridique en Guinée…On a un cadre juridique électoral ambigu, incomplet, morcelé à maints endroits. Si les partis politiques de toutes obédiences confondues étaient malins, c’était justement d’exploiter les rapports de l’Union Européenne sur l’aspect juridique. Travailler sur cela au niveau de leurs quartiers généraux mais ils ne l’ont pas fait.

Deuxième aspect qu’il faut maitriser, c’est justement le corps électoral parce que c’est le fichier, c’est ça le peuple. La différence entre le peuple et la population est que le peuple c’est le corps électoral et la population c’est l’ensemble des personnes qui sont établies sur un territoire. Après le fichier, le troisième élément qu’il faut maitriser c’est l’organe qui organise les élections. Parce que Stalline disait que c’est déjà assez que la population sache qu’elle a voté mais ce qui est important, c’est l’organe qui fait le décompte. Au vu de tous ces aspects, je ne pense pas qu’actuellement la CENI puisse avoir la capacité de faire des élections couplées .

Sinon c’est idéal de le faire parce ça permettra  à la Guinée d’éviter de morceler les échéances électorales. A ce jour, c’est difficile pour le président actuel de dissoudre l’Assemblée Nationale. Pendant que le Président de la République est pratiquement à la fin de son mandat,  l’Assemblée nationale n’est qu’à son début de mandat. Or pour que le Président de la République dissolve l’Assemblée, il faut que l’Assemblée existe trois ans, voyez-vous.  Donc ce sont les échéances électorales répétées qui impactent le plan social, économique et financier. Sans compter que chaque fois qu’il y a élection, on accorde des congés aux élèves et étudiants. Tout ceci peut impacter la démocratie. L’idéal est donc que la CENI puisse coupler les élections en toute indépendance. Malheureusement, les acteurs politiques jouent toujours le jeu d’opportunité pour tenter d’influencer la CENI. C’est donc cet appétit qui anime l’opposition pour dire qu’elle a pu gagner tous les sièges à l’uninominale à Conakry donc il faut aller d’abord aux communales sachant bien que cela est ambigu par ce que le fichier n’est jusque- là pas clair et assaini.

Justement par rapport à cette question de financement extérieur, le président de la République a déjà annoncé que les prochaines élections seront financées par la Guinée elle-même à travers son budget national,  est-ce qu’à votre avis c’est une bonne chose étant donnée que nos caisses ne sont pas toujours en bonne santé. Sans compter les dégâts causés par Ebola.

Oui c’est toujours important que le pays se prenne parfois en charge au niveau des aspects républicains et des aspects de souveraineté. Tout le monde crie qu’Ebola a eu des impacts négatifs et ce n’est pas la Guinée seulement  qui a tiré la sonnette d’alarme. Ce sont des spécialistes au niveau régional et international  qui l’ont fait. Et des cris ont emboité le pas au niveau de tous les pays. Donc j’estime que la Guinée n’est pas actuellement assez forte en termes de financement interne pour se contenter de cela et se dire simplement que lorsque le besoin va se poser qu’on va essayer de tendre la main aux partenaires techniques et financiers. Vous savez  la lourdeur de décaissement au niveau des institutions. La procédure est lente à tel point que lorsqu’il ya urgence, on prend de grand risque pour avoir à temps ce dont on a besoin.
Si c’est fait simplement pour s’affranchir d’une quelconque pression de la communauté internationale, je pense que les conseils n’ont pas aidé les pouvoirs publics à prendre cette décision ; la décision a été trop brusque. Il faut une planification au moins trois avant pour envisager comment le pays pourrait se prendre en charge dans ses activités électorales.  Sans compter que la CENI guinéenne nous a toujours annoncé un gap financier sans même annoncer le montant disponible.

Parlons maintenant de l’Institution nationale indépendante des droits humains, quels sont ses implications et ses avantages?
Il faut d’abord remercier les membres du Conseil national de la Transition (CNT) qui ont été très visionnaires pour doter la Guinée d’une telle institution adoptée le jeudi 14 juillet 2011.  Il faut tout de même regretter la lenteur de la procédure avant sa promulgation par le président de la république.  Car si une loi est adoptée c’est le même jour qu’elle est transmise au président de la république pour promulgation. Et le président a dix jours pour le promulguer.  Mais « mieux vaut tard que jamais ». L’Institution est un acquis très important pour non seulement la protection des droits de l’homme  mais aussi pour leur promotion dans le pays.  Sa mission est également d’analyser toutes les moutures constitutionnelles ;  son rôle est aussi de faire constater le caractère inconstitutionnel des lois. C’est vraiment un grand acquis ; les membres du CNT l’ont définit à l’article 80 de la Constitution. ça n’a pas du tout de quiproquo vis-à-vis des autres institutions relatives aux droits de l’homme dans le pays.  J’entends certains acteurs de la société civile dénoncer très tôt la faiblesse de l’institution.  Ils disent par exemple que la première mouture telle qu’elle a été adoptée a été directement  transmise à la Cour suprême sans aucune modification ou amendement. Mais je crois qu’ il ne faut pas modifier une loi pour la modifier si le contenu est bon c’est vraiment honnête de la garder intact.   Donc l’adoption de la loi relative à l’institution nationale indépendante des droits de l’Homme est vraiment une avancée. Mais cela ne suffit pas, il faut à présent mettre en place l’institution, lui trouver un siège, des membres, et tout le budget nécessaire pour son fonctionnement. L’indépendance de l’institution est garantie par la constitution qui indique qu’aucune autorité ne doit entraver le fonctionnement de cette institution. Il faut donc passer à son opérationnalisation.

Beaucoup craignent déjà des risques de conflits de compétence de cette institution avec le ministère des Droits de l’Homme. Qu’en est-il réellement?
Pas du tout. Le ministère des Droits de l’Homme reste une structure politique de l’exécutif. Il ya eu beaucoup d’efforts  pour  créer le ministère des Droits de l’Homme. Il y a l’observatoire national des droits de l’Homme et comme si cela ne suffisait pas on a créé la Direction nationale des Libertés Publique et de la réglementation au ministère de la Décentralisation, et comme si cela ne suffisait pas on est venu au niveau de la Justice avec la direction nationale des Droits de l’Homme, puis la Commission nationale des Droits de l’Homme  qui n’a pas été opérationnelle. Parce que le décret qui a créé cette commission avait six articles, l’article 3 de ce décret faisait un renvoi à la loi. Alors que le décret est petit par rapport à la loi ; le décret étant le petit frère de la loi, il ne peut pas commissionner sa grande sœur à des taches ; c’est l’inverse qui se fait. Donc le décret ne pouvait pas prévoir à son article 3 qu’une loi devrait définir le fonctionnement de la Commission nationale des Droits de l’Homme.  C’est la loi qui doit plutôt dire qu’un décret sera pris pour définir le fonctionnement de ceci ou de cela.  Cela n’a pas marché et on est venu en fin au Ministère des Droits de l’Homme et des libertés publiques. C’est donc différent, les deux tendances.  Etant donné d’ailleurs que le ministère des droits de l’homme se plaint qu’il n’a pas de budget d’investissement,  c’est le budget de fonctionnement seulement qu’il possède, ça veut dire qu’il n’ya pas de nuance à ce niveau pourvu que les gens le comprennent bien.
Evoquons enfin d’Ebola qui continue d’endeuiller les familles. ça fait un peu plus d’un an qu’on se bat contre l’épidémie. Mais jusque- là la maladie persiste ; Selon vous qu’est ce qui n’a pas marché ?
Je pense qu’on a péché au départ par le choix de la stratégie et celui des hommes pour la mise en œuvre de cette stratégie. Le choix des hommes parce qu’on n’est pas parvenu à temps à envoyer des hommes qu’il fallait à des endroits donnés. Au moment  où on s’est rendu compte qu’il y avait des gens qui banalisaient la maladie, c’était déjà un peu tard. Ensuite, la  communication  était catastrophique. Elle était faite  par des gens qui étaient là avant la mise sur pied d’une coordination ; ils faisaient preuve d’amalgame. Ils disaient des messages de stigmatisation au niveau de la population. Sans compter  l’aspect juridique. Lorsqu’on a déclaré l’Etat d’urgence, j’ai entendu les gens déclarer sur les medias que non l’urgence était seulement sanitaire.  Ceci est très grave. Au niveau de notre pays, il y a une loi qu’on appelle la loi 016 du 23 décembre 1991portant Etat de Siège et Etat d’Urgence. En son article 2 c’est très clair, on déclare l’Etat d’urgence lorsqu’il ya trois hypothèses ou l’une des trois hypothèses dans le pays : premièrement, on déclare l’Etat d’urgence lorsqu’il ya une atteinte grave à l’ordre public, on n’était pas dans cette hypothèse ; deuxièmement, on déclare l’Etat d’Urgence lorsqu’il ya des situations subversives de nature à compromettre la sécurité intérieure, cela aussi ne se justifie pas au cas présent. Mais la troisième hypothèse était justifiée parce qu’elle dit : lorsqu’il ya une situation ou un événement  présentant par sa gravité et par sa nature, le caractère d’une calamité publique. Et Ebola en constitue une, d’ailleurs plus grave qu’une calamité par ce que pour  les autres calamités, on peut obtenir des secours alors qu’on ne doit même pas toucher sans précaution, une personne atteinte d’Ebola.

Et comme pour nous faire la leçon, c’est la communauté internationale qui a adopté la résolution21-77  du 18 septembre 2014 pour dire que  si vous, vous minimisez la maladie chez vous, nous nous la considérons comme une menace à la paix et à la sécurité internationales.   L’autre excuse qu’on peut accorder à l’échec de la lutte est que le pays n’était  pas préparé à faire face à une épidémie à la dimension de Ebola ; mais comme c’est arrivé,  il faut dire à la population de croire à l’existence de la maladie,  deuxièmement que ceux qui gèrent cette phase là gèrent bien de manière à ce que l’on puisse capitaliser tout cela pour rebondir après. Par ce que quand Banki Moon est venu ici, il a dit qu’il faut que la Guinée développe une capacité de résilience pour pouvoir faire face à tout ce que pourrait advenir dans le futur. Regardez, il y a des petits pays qui ont fermé les frontières avec la Guinée, c’est incompréhensible, ça veut dire que les Etats n’ont pas d’amis ils n’ont que des intérêts,  il faut donc que chaque pays prenne ses responsabilités pour pouvoir se protéger. Cessons d’envoyer nos patients dans les pays limitrophes, construisons des hôpitaux dignes de nom dans le pays parce que je pense qu’on a les ressources humaines compétentes avec des professeurs agrégés qui ont prouvé leur talent.

Dans ce contexte es-cet que vous pensez qu’il est opportun de rouvrir les classes parce l’épidémie est encore là?
Je pense la priorité c’est d’abord s’équiper davantage avant de rouvrir les classes . Il faut que toutes les écoles soient dotées de matériels nécessaires. Vous savez,  moi je considère toujours une crise comme un film, entre l’acteur et le bandit-chef. Le bandit-chef malmène toujours l’acteur jusqu’à vers la fin. C’est à la fin que l’acteur fait preuve de résilience  pour vaincre le bandit-chef; donc il faut tout faire pour rouvrir les écoles parce que l’Etat ne doit pas s’arrêter à cause d’Ebola;  aussi il faut rouvrir les classes parce que les fils des nantis continuent d’étudier à l’extérieur pendant que les fils des pauvres sont privés d’éducation. Seulement tout cela doit être fait avec les strictes précautions et faire comprendre aux gens que ces mesures d’hygiènes sont à respecter vaille que vaille et totalement.

Entretien : Ismaël Camara

Décryptage: Faberto

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