mercredi, mai 8, 2024

Mory Kanté :  » je cherche à rentrer maintenant en Afrique »

Le musicien guinéen Mory Kanté vient de terminer, à Conakry, la construction d’un important complexe comprenant une école de musique, une salle de spectacle et deux studios d’enregistrement dédiés aux artistes africains.

Son nouvel album qui rend hommage aux femmes sortira   cette semaine en Guinée.  Rencontré à l’occasion de la tournée africaine de Coumba Gawlo, le virtuose de la kora et auteur du tube planétaire « Yeke Yeke » feuillette, dans cet entretien, l’album souvenir de sa riche carrière musicale et confie son envie de retrouver le public dakarois.

Mory Kanté, on vous a vu rejoindre sur la scène du Palais du Peuple Coumba Gawlo Seck en spectacle. En tant que son aîné dans la musique, quelle portée donnez-vous à ce geste ?

« Coumba, je l’ai vue pour la première fois, il y a plus de vingt ans. C’était ici, en Guinée, dans une ville à côté de Koya, très loin de Conakry. Ce jour-là, elle a été très correcte avec moi et je me suis dit que celle-là, a reçu une bonne éducation. Depuis, c’est ce que je ressens avec elle et on s’est rencontré à d’autres événements plus tard, mais on n’avait pas eu la chance de jouer ensemble. Vous savez que l’éducation est très importante chez un individu, ici en Afrique. C’est un bon apport pour l’individu par rapport à ses semblables. C’est ce que je retiens d’elle, et je sais qu’elle est très abordable en tant qu’individu et je sais qu’on peut aisément travailler avec elle ».  

Sur scène, elle vous a présenté comme un porte drapeau de la musique guinéenne, de la musique mandingue en général…
« (Rires) J’appartiens à la Guinée et au Mali en même temps. Souvent je représente la Guinée, tantôt je représente le Mali. J’ai passé toute mon enfance au Mali. J’y suis parti à l’âge de quinze et je suis resté là-bas très longtemps. C’est maintenant, depuis dix, vingt ans, que je commence à être stable ici, après le décès de ma maman en 2008, à l’âge de 93 ans.

Je peux dire que c’est grâce à la culture guinéenne que je suis allé au Mali. Déjà, très jeune, j’étais musicien et j’ai évolué là-bas. Dès le début de l’indépendance, il y a eu beaucoup de gens qui avaient déjà beaucoup fait pour la musique guinéenne, par exemple mon frère Kanté Fassily, dont la maman a vécu un moment au Sénégal. Il était le fils aîné de notre père qui a vécu jusqu’à l’âge de 109 ans. Il y a  également mes frères Soba Sékou, Kanté Balla, Kanté Manfila… Ils jouaient déjà de la guitare avec les Ballets africains. Kanté Fassily fut le directeur du Grand Ballet de Keita Fodéba. Sur le plan musical, nous étions à cheval sur la tradition et la modernité. Depuis l’âge de six à huit ans, je jouais de la guitare. Dans les années 60, la musique guinéenne a commencé à représenter partout l’Afrique de l’Ouest ; cela a été un tremplin pour moi. Il y a eu de grandes références en Guinée comme musiciens, parmi lesquelles des membres de ma famille. Sékou « Bembeya » du Bembeya Jazz est mon oncle, par exemple ! Il y a eu aussi Diélaye, mon frère qui a été l’un des meilleurs guitaristes de la Guinée dans le temps. Ces références m’ont beaucoup aidé, jusqu’à ce que je puisse prendre la musique guinéenne et la compiler avec la musique du reste du monde. De là à dire que je suis le porte-drapeau de la musique guinéenne… (Il laisse éclater un grand éclat de rire sans terminer sa phrase. « Il est très modeste », dit alors Coumba Gawlo assise à ses côtés – Ndlr).

On vous connait sur les scènes à travers le monde ; aujourd’hui on vous retrouve là en Guinée. Peut-on dire que vous êtes enfin rentré à la maison ?

« Oui ! Je cherche maintenant à rentrer en Afrique, à la maison. Ce qui est difficile, quand on a une carrière vraiment dense comme la mienne. Vous savez, en 2004, mon disque traditionnel « Sabu » fut sacré « Meilleur album international ». Avec cet album, j’ai tourné pendant six ans à travers le monde, je faisais entre 70 et 80 concerts par an.
Je n’avais pas le temps de refaire un autre album et je construisais également le complexe « Mory Kanté ya » que j’ai terminé ici, à Conakry. Cela m’a pris du temps. Maintenant je raisonne et je me dis qu’il faut que je me repose un peu. Mon nouvel album « La Guinéenne » sort ce 21 novembre à Conakry. Il y a également deux Dj anglais et américains qui ont repris mon tube « Yeke Yeke » et ont vendu deux millions quatre cent mille singles dans le monde. Donc, pour moi, il s’est passé beaucoup de choses pour lesquelles je ne peux rentrer dans les détails.  
Ensuite, j’ai beaucoup travaillé avec les institutions internationales et onusiennes. J’ai été nommé Ambassadeur de la Fao, du Hcr, de l’Unesco, etc. J’ai été très sollicité et je me suis dit, il faut que je tempère un peu pour rentrer au pays. (Rires). Et là, je commence y à mettre un pied…

Et quel objectif voulez- vous atteindre en réalisant avec ce complexe à Conakry ?
« Avec le complexe et mon travail, je veux aider la musique africaine. À chaque album que je fais, je pense à un projet artistique à réaliser. Je pense et je cherche comment aider la musique africaine en sortant l’album. Je veux que les musiciens, les mélomanes, les gens retrouvent une idée dans mes albums. C’est pour cela que je peux rester quatre ans ou plus pour réaliser un album, je veux qu’il dure dans le temps. C’est très important. Ce sont autant de raisons qui font que je ne suis pas vite retourné en Afrique ces dernières années et j’ai plus d’une soixantaine d’années maintenant.  

Parlez-nous de votre nouvel album « La Guinéenne », avec quels musiciens vous l’avez réalisé ?
 « C’est un album dans lequel je fais revenir les cuivres. J’y ai fait jouer sept instrumentistes à vent. Vous savez, j’ai trois groupes de musiciens. J’ai mon groupe électrique à Paris, un groupe traditionnel avec qui j’ai réalisé « Sabu » et j’ai un « Big Band » en Norvège. Ce sont les Scandinaves qui m’ont donné beaucoup de musiciens et ils jouent mes titres parce que cela les intéressent. Donc, dans ce nouvel album, j’ai fait jouer deux trompettistes, un tromboniste et un saxophone. Vous verrez, quand vous écouterez ça… (Rires).

En même temps, je trouvais que je m’étais trop incrusté d’une certaine manière dans la kora. Or je suis guitariste avant tout. Je vais vous raconter une anecdote. C’est à Dakar que je suis devenu soliste de l’orchestre du Rail Band ! J’étais avec les Salif Keita, on devait jouer à l’hôtel Ngor pour le Président Senghor. À Dakar, notre guitariste à l’époque Baba Nabé a désisté de l’engagement pour aller rejoindre l’Orchestra Baobab. Avec Salif, j’étais un peu guitariste et on chantait. C’était un problème et là, on m’a dit « Mory, aujourd’hui, tu vas jouer la guitare ! » Et ce jour-là, j’ai joué tout le répertoire du Rail Band. Donc, c’est à Dakar que je suis devenu guitariste au  Rail Band ! J’ai joué de la guitare, un petit  moment, quand Salif est parti rejoindre l’orchestre « Les Ambassadeurs ». Je suis devenu chanteur leader et guitariste soliste du Rail Band. Je ne sais pendant combien de temps, avant qu’on ne cherche Djély Mady Tounkara pour venir jouer la guitare et je suis resté chanteur leader de l’orchestre.

Donc, voilà, cette fois, j’ai essayé de jouer un peu de la guitare dans mon nouvel album. Je me suis défoulé un peu. J’ai également pris des voix de la Guinée pour assurer les chœurs, je leur ai donné une grande place dans l’album.
J’ai eu le temps, parce que j’ai enregistré l’album dans mon studio ici à Conakry. J’ai deux studios, un de 48 pistes et un autre de 24 pistes dans le complexe qui comprend également  une salle de spectacle de 2000 places, une grande scène, un bar, etc.

Vous nous racontez l’anecdote de Dakar. Quand est-ce que Mory Kanté va y retourner pour le plaisir des mélomanes sénégalais ?
« Jouer à Dakar ? Ça dépend de Coumba ».
Coumba Gawlo intervient alors : « Mais, je vais t’inviter. Tu vas faire parti des invités d’honneur pour la célébration de mes 23 ans de carrière, le 29 janvier prochain. On chantera ensemble « Miniyamba» et tu joueras de la kora ».
Mory Kanté : « J’ai de grands amis au Sénégal, tels que le vieux Doudou Ndiaye Rose, on a joué de grands concerts ensemble. Il est extraordinaire ! Depuis 1986, on a fait beaucoup de spectacles ensemble. Si je peux non seulement venir à Dakar avec Coumba, Baaba Maal aussi, mais également si on peut m’inviter au Sénégal pour faire découvrir mon orchestre et mes musiciens, cela me fera plaisir ».

Depuis votre retour, comment jugez-vous la situation politique actuelle de la Guinée ?
« Comme chez tous les peuples du monde, comme tout pays qui se développe, et c’est humain. La marche de la Guinée a connu beaucoup de problèmes et de bouleversements. C’est ce que la Guinée a vécu depuis notre indépendance jusqu’à maintenant. Vous savez, l’Afrique peut s’estimer heureuse, parce qu’elle n’a pas fait cent ans de guerre, à l’image de l’Europe, pour connaître le développement. Depuis peu le pays change, il était temps.

Et aussi les Guinéens l’ont compris. On a prié Dieu de nous donner un Chef d’État qui peut nous aider à développer notre pays. Maintenant que la porte vers le progrès, le développement, la paix sociale est grandement ouverte, il faut qu’elle le reste pour le bien des fils de la Guinée ».

Propos recueillis par Omar DIOUF, Envoyé spécial à Conakry

 

 

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